Lors de notre vente de lutherie de prestige qui se tenait le 2 juin 2022 à Vichy Enchères, la famille Simon était particulièrement bien représentée, avec quatre instruments de Nicolas Simon, dit Simon FR, et deux archets de Pierre Simon – le seul archetier de la famille à avoir quitté Mirecourt pour rejoindre la capitale. Particulièrement intéressants, ces deux instruments réalisés vers 1845 et 1850, se font le reflet des collaborations parisiennes de Pierre Simon et nous donnent ainsi l’occasion de revenir sur l’œuvre et la vie de ce maître de plus en plus recherché.
Pierre Simon (1808-1881) est certainement le membre le plus connu d’une grande famille d’archetiers de Mirecourt, répartis en deux branches. Une première composée de Pierre Simon et de son frère Barthélémy Simon (1811-1884), qui signait probablement du nom de famille de sa femme “PIERROT” ainsi que de son neveu Dominique Jean-Baptiste Simon (1843-après 1856).
Une seconde comprenant également deux frères, Jean Simon (1804-1863), son fils Nicolas Simon (1835-1880) qui signait “SIMON.N” et Nicolas Simon (1806-1864) – le seul archetier de la famille à avoir signé ses instruments par l’énigmatique marque “SIMON FR”.
Parmi les hypothèses formulées pour lever le mystère sur cette signature, la plus probable assimile le “FR” aux premières lettres du nom de jeune fille de la femme de Nicolas Simon, Madeleine Frébinet. A cette époque, il était en effet commun que les luthiers utilisent le nom de leur épouse pour l’associer à leur activité ou dans le but de se démarquer de certains confrères (un autre exemple connu est Dominique HENRY qui signait “HENRY.JV” pour JonVaux le nom de sa femme). L’autre hypothèse voudrait que “FR” soit l’abréviation de “frères”, en référence à une collaboration entre deux frères de la famille Simon, mais celle-ci semble improbable compte tenu de l’absence d’archives et de témoignages.
En outre, dans le cas des frères Pierre et Barthélémy Simon, une collaboration est inenvisageable puisque Pierre est rapidement parti travailler à Paris. Il est donc couramment admis que la signature “SIMON FR” renvoie à Nicolas Simon, pour “Nicolas Simon Frébinet”. Lors de la vente du 2 juin 2022, la famille sera particulièrement bien représentée puisque quatre instruments de Nicolas Simon seront présentés aux côtés des deux modèles de Pierre Simon, parmi lesquels un intéressant archet de violoncelle vers 1850, avec bouton postérieur (lot 35) et un très bel archet de violon monté argent (lot 335). Les archets de Nicolas Simon ont vite été reconnus pour leur qualité et ont servi de modèles à un certain nombre d’archetiers de Mirecourt, à l’instar de Charles Nicolas Bazin.
Bien que Nicolas Simon soit un archetier au savoir-faire reconnu, Pierre Simon est considéré comme le grand maître de la famille. Sa production, souvent de grande qualité, est très recherchée par les musiciens professionnels et les fins connaisseurs. Après un apprentissage auprès des luthiers de Mirecourt et une première expérience, il quitte sa ville natale pour rejoindre Paris en 1838, à l’âge de 30 ans. S’entame alors une collaboration avec Dominique Peccatte qui, bien que relativement courte – elle ne durera que deux ans – marquera durablement son style. Chez Peccatte, il côtoie plusieurs autres archetiers, dont Joseph Henry, avec qui il s’associera plus tard – nous y reviendrons.
Les diverses collaborations de Pierre Simon avec ses contemporains sont importantes pour comprendre son œuvre et son style. En très bon état et de grande qualité, l’archet de la vente du 2 juin 2022, réalisé vers 1845, donne un bel aperçu de la première partie de sa carrière. En effet, cet instrument est un remarquable témoignage de l’influence de Dominique Peccatte sur son travail, comme nous pouvons le percevoir dans le dégorgement encore assez court et très “peccattisant”. Cet instrument est particulièrement intéressant car, comme le soulignent les experts en archets Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, il évoque l’influence de Peccatte tout en mettant en évidence la singularité du style de Pierre Simon :
“Les archets en modèle Peccatte, du type de ceux réalisés par Henry, Maline ou Maire, sont puissants et carrés, alors que les archets de Simon sont toujours plus féminins, plus ronds, notamment au niveau de ses modèles de tête.”
Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, experts en archets
Par ailleurs, l’estampille “GAND, PARIS” de ce modèle offre également un témoignage historique de la collaboration de Pierre Simon avec Charles François GAND, pour qui il réalisa des archets de bonne qualité et très recherchés. Enfin, nous ne pouvons occulter l’influence perceptible de Vuillaume dans la conception de cet instrument, qui présente notamment une tête d’une grande pureté et ronde sur l’arrière.
En effet, en 1840, Pierre Simon quitte l’atelier de Peccatte pour débuter une collaboration avec Jean-Baptiste Vuillaume qui prendra fin en 1844, peu de temps avant la réalisation de l’instrument de la vente du 2 juin 2022 estampillé “GAND, PARIS”. Durant sa collaboration avec Jean-Baptiste Vuillaume, Pierre Simon réalise de très beaux modèles, dont des archets à mèches interchangeables. Tout comme sa collaboration avec Peccatte avait pu imprégner son style, son travail pour Vuillaume le marquera profondément et ses instruments évoqueront longtemps la production du célèbre luthier-archetier. Cette longue influence de Vuillaume s’explique en partie par le fait que Pierre Simon continua de travailler sur commande pour lui, même après s’être établi à son compte en 1844.
Le deuxième archet de la vente Vichy Enchères du 2 juin 2022 offre un beau témoignage de cette proximité stylistique, puisque bien que réalisé vers 1850 – soit plusieurs années après avoir quitté l’atelier de Vuillaume -, la production de Pierre Simon est encore empreinte du style et du travail de Vuillaume.
“Cet archet est caractéristique de la période où, inlassablement, il continuait de travailler pour Jean-Baptiste Vuillaume. Le dégorgement est plus carré, le chanfrein de tête est très fin au niveau de la plaque de tête.”
Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, experts en archets
La coulisse de la hausse est assez ronde et évoque le modèle Vuillaume. Toutefois, la tête semble déjà plus influencée par le style à la mode dans les années 1850, puisqu’elle est arrondie sur le devant et creusée sur l’arrière.
En 1847, Pierre Simon s’accorde avec Dominique Peccatte pour récupérer son atelier – ancienne propriété de François Lupot II – et débute une collaboration avec Joseph Henry qui devrait durer jusqu’en 1851. S’il est fréquent de lire que cette collaboration était vouée à l’échec en raison de la forte personnalité de ces deux archetiers, c’est oublier un facteur historique de taille : le percement de la rue de Rivoli. En effet, comme nous le rappellent les experts Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, la fin de cette collaboration fut précipitée par la destruction de l’atelier programmée à début 1852.
“Le percement de la rue de Rivoli va faire disparaître près de 250 maisons, 80 seront démolies au mois de janvier prochain”.
“Lettre du Conservateur du Plan de Paris, Deschamps, Paris, le 17 novembre 1851”, citée dans Pierre Pinon, Paris pour mémoire, Le livre noir des destructions haussmanniennes, Parigramme, 2012
Le percement de la rue fut dessiné par Eugène Deschamps, conservateur du Plan de Paris, qui devint en 1854, à l’arrivée d’Haussmann, chef du bureau des Travaux d’Architecture, puis responsable du service du Plan en 1856. Haussmann écrira d’ailleurs dans ses Mémoires : “Le Plan de Paris, c’était M. Deschamps”.[1] L’architecte Gabriel Davioud fut, quant à lui, chargé de relever les façades des maisons démolies, ce qui nous permet aujourd’hui de conserver une trace de l’ancien atelier de Lupot récupéré par Peccatte, puis vendu à Simon et Henry. Celui-ci se situait au 18 rue d’Angiviller, au nord de la Place du Louvre. Déclaré d’utilité publique, le percement de la rue de Rivoli contraignit ainsi Simon et Henry à cesser leur collaboration rue d’Angiviller et explique l’installation de Pierre Simon au 179 rue Saint-Honoré.
Il est curieux de constater qu’entre 1852 et 1878, notre archetier n’apparaît plus dans l’Almanach du Commerce de Paris, mais que simultanément, un Simon est mentionné dans celui de Mirecourt. Faut-il comprendre que Pierre Simon avait regagné sa ville natale durant cette période ou s’agit-il d’un autre archetier de la grande famille Simon ? Ce qui est sûr, c’est qu’on retrouve trace de lui à Paris en 1878, au 232 rue Saint-Denis.
[1] Pierre Pinon, Paris pour mémoire, Le livre noir des destructions haussmanniennes, Parigramme, 2012
Pierre Simon laissa derrière lui un important patrimoine instrumental très recherché par les collectionneurs et musiciens professionnels du monde entier. Son grand savoir-faire et ses prestigieuses collaborations livrèrent parmi les instruments les plus aboutis de son siècle, dont témoignent les deux archets de la vente Vichy Enchères du 2 juin 2022, caractéristiques de sa production des années 1845-1850.
At our next fine stringed instruments auction, to be held on 2 June 2022 at Vichy Enchères, the Simon family will be particularly well represented, with four bows by Nicolas Simon, aka Simon FR, and two by Pierre Simon – the only bow maker in the family to have left Mirecourt to move to Paris. These two particularly interesting bows, made around 1845 and 1850, reflect the Parisian collaborations of Pierre Simon and provide us with an opportunity to revisit the work and life of this increasingly sought-after master.
Pierre Simon (1808-1881) is the best known member of a large family of bow makers from Mirecourt, which is divided into two branches. The first includes Pierre Simon and his brother Barthélémy Simon (1811-1884), who probably stamped his work with his wife’s family name “PIERROT”, as well as his nephew Dominique Jean-Baptiste Simon (1843-after 1856).
The second also includes two brothers, Jean Simon (1804-1863), his son Nicolas Simon (1835-1880), who stamped his work “SIMON.N”, and Nicolas Simon (1806-1864) – the only bow maker in the family to have signed his bows with the enigmatic “SIMON FR” stamp.
Amongst the theories put forward to explain this stamp, the most convincing is that “FR” refers to the first two letters of the maiden name of Nicolas Simon’s wife, Madeleine Frébinet. At that time, it was indeed common for makers to use their wife’s name to associate her with their activity or in order to distinguish themselves from colleagues (another well-known example is Dominique HENRY who stamped his bows “HENRY.JV” for JonVaux, the name of his wife). Another theory is that “FR” is the abbreviation of “freres” (brothers), in reference to a possible collaboration between two brothers of the Simon family, but this seems unlikely given the absence of supporting evidence in historical documents.
In addition, a collaboration between brothers Pierre and Barthélémy Simon should be ruled out as Pierre left Mirecourt to work in Paris early on. It is therefore generally accepted that the stamp “SIMON FR” refers to Nicolas Simon, as in “Nicolas Simon Frébinet”. During the sale on 2 June 2022, the family will be particularly well represented since four bows by Nicolas Simon will be included, alongside the two bows by Pierre Simon: an interesting cello bow made around 1850, with a later button (lot 35), and a very fine silver mounted violin bow (lot 335). Nicolas Simon bows quickly gained recognition for their quality and served as models for a number of Mirecourt bow makers, such as Charles Nicolas Bazin.
Although Nicolas Simon is a bow maker whose craftsmanship is widely recognized, it is Pierre Simon who is considered the greatest master of the family. His production, often of high quality, is highly sought after by professional musicians and fine connoisseurs. After training with makers in Mirecourt and a first work experience there, he left his hometown to go to Paris in 1838, at the age of 30. There he worked with Dominique Peccatte and, although this collaboration was relatively short – it only lasted two years, it left a lasting legacy on his style. At Peccatte’s, he rubbed shoulders with several other bow makers, including Joseph Henry, with whom he collaborated later on – as we will discuss below.
Pierre Simon’s various collaborations with his contemporaries are important in understanding his work and his style. The bow in the sale of 2 June 2022, which is in very good condition and of high quality, was made around 1845 and is a typical example of his early work. Indeed, this bow is a remarkable testimony to the influence of Dominique Peccatte on his work, as can be observed in the still rather short and very Peccate-style hollowing of the throat. This bow is particularly interesting because, as pointed out by bow experts Sylvain Bigot and Yannick Le Canu, it shows the influence of Peccatte, whilst also attesting to the unique style of Pierre Simon:
“Bows after Peccatte, such as those made by Henry, Maline or Maire, are usually powerful and square, whereas those by Simon are always more feminine and rounder, in particular with regards to the style of the head.”
Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, experts en archets
In addition, the “GAND, PARIS” stamp on this example is a testimony to Pierre Simon’s collaboration with Charles François GAND, for whom he made good quality and highly sought-after bows. Finally, the influence of Vuillaume is noticeable in the design of this bow, in particular that of the head, which is of great purity and round at the back.
In 1840, Pierre Simon left the workshop of Peccatte to start working with Jean-Baptiste Vuillaume; this collaboration ended in 1844, shortly before the bow stamped “GAND, PARIS” in the sale of 2 June 2022 was made. During his time with Jean-Baptiste Vuillaume, Pierre Simon produced very beautiful examples, including bows with interchangeable hair. Just as his collaboration with Peccatte influenced his style, his work for Vuillaume left a lasting impression on the man and his bows, which were reminiscent of his production for the famous violin maker long after their collaboration ended. The lasting influence of Vuillaume is partly due to the fact that Pierre Simon continued to work on commissions for him, even after setting up on his own in 1844.
The second bow in the Vichy Enchères sale on 2 June 2022 is a good example of the continued influence of Vuillaume on Pierre Simon’s style: although it was made around 1850 – i.e. several years after he left the Vuillaume workshop – it shows Simon’s output was still marked by the style and work of Vuillaume
“This bow is characteristic of the period when he tirelessly continued to work for Jean-Baptiste Vuillaume. The throat is more square, the head chamfer is very narrow at the head plate.”
Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, experts en archets
The bottom slide of the frog is quite round and reminiscent of the Vuillaume model. However, the head already seems more influenced by the style in fashion in the 1850s, since it is rounded at the front and hollowed out at the back.
In 1847, Pierre Simon agreed with Dominique Peccatte to take over the latter’s workshop – which was formerly owned by François Lupot II – and began a collaboration with Joseph Henry which lasted until 1851. The common view is that this collaboration was doomed to failure because of the strong personalities of these two bow makers, but this analysis overlooks one important historical element: the construction work for the opening of the rue de Rivoli. Indeed, as experts Sylvain Bigot and Yannick Le Canu point out, the end of this collaboration was forced by the demolishing of the workshop scheduled for early 1852.
“The construction work for rue de Rivoli will make almost 250 houses disappear, 80 of which will be demolished next January”.
“Lettre du Conservateur du Plan de Paris, Deschamps, Paris, le 17 novembre 1851”, citée dans Pierre Pinon, Paris pour mémoire, Le livre noir des destructions haussmanniennes, Parigramme, 2012
The new street was designed by Eugène Deschamps, curator of the City Plan for Paris, who became in 1854, upon the arrival of Haussmann, head of the Office of Architectural Works, and then head of the City Plan department in 1856. Moreover, Haussmann wrote in his memoirs: “The Plan of Paris was M. Deschamps’s”.[1] The architect Gabriel Davioud was responsible for making records of the facades of the houses to be demolished, which allows us today to retrace the history of the former workshop of Lupot, first taken over by Peccatte, and then by Simon and Henry. It was situated at 18 rue d’Angiviller, north of the Place du Louvre. The construction of the rue de Rivoli was declared in the public interest and therefore it forced Simon and Henry to cease their collaboration rue d’Angiviller and explains the move of Pierre Simon to 179 rue Saint-Honoré.
It is interesting to note that, between 1852 and 1878, our bow maker no longer appeared in the Directory of Commerce of Paris, but that, meanwhile, a Simon was included in that of Mirecourt. Should we deduce from this that Pierre Simon returned to his hometown during this period, or does this entry just refer to another bow maker from the large Simon family? What is certain is that we find him again in Paris in 1878, at 232 rue Saint-Denis.
[1] Pierre Pinon, Paris pour mémoire, Le livre noir des destructions haussmanniennes, Parigramme, 2012
Pierre Simon left an important legacy in bow making, and his bows are much sought after by collectors and professional musicians around the world. His great craftsmanship and his collaborations with prestigious makers helped produce some of the most accomplished bows of his century, as evidenced by the two bows in the Vichy Enchères sale of 2 June 2022, which are typical of his work in the period 1845-1850.