Vichy Enchères

Sébastien Mercier : un pionnier du piano droit et piano-pont à l’époque de la Monarchie de Juillet

Un original piano de Sébastien Mercier – facteur plébiscité par toutes les têtes couronnées de son temps – sera mis en vente le 4 novembre 2023. Réalisé en 1831, celui-ci nous replonge à l’époque de la Monarchie de Juillet et, de manière plus générale, fait rejaillir toute l’ébullition culturelle qui animait l’Europe au temps où Paris était la capitale des arts. Intéressant à plus d’un titre, ce piano-pont dit aussi en “niche de chien” est le témoin d’un goût oublié et de l’audace des facteurs de l’époque. Il est aussi l’occasion de revenir sur la vie et l’œuvre de Sébastien Mercier, le facteur de la reine Victoria, dont les pianos furent baptisés “The Royal Albert Pianofortes”.


L’une des gloires de la facture parisienne

C’est en 1822 que l’on situe les débuts de Sébastien Mercier en tant que facteur de pianos. Après avoir séjourné à Naples, puis quelque temps à Rome où il reçoit (tout de même) les encouragements de Sa Sainteté le Pape Pie VII, il décide de s’établir à Paris en 1824[1]. C’est là qu’il se forme à l’art du piano droit chez les réputés Roller & Blanchet, au 10 Boulevard Poissonnière, à l’origine de l’introduction du piano-pont à l’Exposition nationale de 1827. En 1828, Mercier s’associe à Jean-Baptiste Gibaut avant de s’installer à son compte en 1830, 4 rue Basse-Saint-Pierre, puis de déménager 31 Boulevard-Bonne-Nouvelle. C’est au sein de son premier atelier, seulement un an après son installation, qu’il réalise le piano-pont de la vente du 4 novembre 2023, comme nous l’indique son cartouche. Il devient alors, aux côtés de la Maison Roller & Blanchet, l’un des premiers à établir en France les pianos droits. Son activité est vite reconnue et se développe considérablement. En 1839, il employait près d’une trentaine d’ouvriers. 

“Ce facteur, l’un des meilleurs élèves de M. Roller, construit des pianos droits à cordes obliques […]Cet artiste distingué occupe vingt-sept ouvriers et construit cent vingt pianos par an.”

Rapport du Jury Central, Exposition, des produits de l’Industrie Française en 1839, M. Savart, rapporteur, 1839

[1] Annuaire Musical, 1857, p.188-189

Les éloges à son propos ne manquent pas dans la presse spécialisée et nous donnent une idée du prestige dont jouissait son atelier. En 1834, on pouvait ainsi lire dans la Notice des produits de l’industrie française :

“M. Mercier est du petit nombre de ceux qui ont le mieux réussi à améliorer la confection de cet instrument. L’élégance, le peu de volume de ses pianos, n’en excluent ni la force, ni la pureté des sons, ni aucun des autres avantages que les artistes et les mécaniciens recherchent dans les parties organiques d’un piano. Le clavier est prompt et facile dans sa marche, et les touches obéissent sans difficulté à la plus légère comme à la plus lourde pression. […] Nous invitons les amateurs à visiter les ateliers de M. Mercier; ils y trouveront un choix varié de pianos, dont la supériorité atteste ses longues études et son expérience dans la fabrication de cet instrument”

Notice des produits de l’industrie française précédée d’une historique des expositions antérieures, 1834, p. 159

Le facteur des têtes couronnées

Lors de l’Exposition des produits de l’industrie française de 1834, l’un des pianos présentés par Sébastien Mercier fut acheté pour la princesse royale de Suède, ce qui lui valut le titre de “facteur de Sa Majesté le roi du Suède et de Norvège”.

La Gazette musicale de Paris, le 17 août 1834, écrivait à ce sujet : “Nous ne savons jusqu’à quel point les sons fantastiques ont pu influencer le choix de Son Altesse Royale. Ceux de nos lecteurs qui voudraient connaître un piano à sons fantastiques devront se rendre chez M. Mercier, ce sont là de ces choses dont la description serait au-dessus de nos forces.”[1] Six ans plus tard, soit en 1840, Charles Mercier obtenait une distinction similaire du roi des Français en se voyant honoré du titre de facteur ordinaire du roi Louis-Philippe.


[1] Gazette musicale de Paris, le 17 août 1834, P.261

Esthétiquement parlant, les pianos de Sébastien Mercier sont très raffinés et s’adressent à une riche clientèle. Les pianos droits et particulièrement le modèle pont ou niche de chien – comme c’est le cas de l’instrument de Mercier de 1831 en vente le 4 novembre 2023 – étaient précisément pensés comme des objets d’art capables de s’intégrer plus facilement dans de somptueux intérieurs et qui permettaient, à l’occasion de salons ou de réceptions mondaines, d’apercevoir le visage du pianiste.

Par leur facture, les pianos de Mercier s’inscrivent pleinement dans le goût de l’époque et dans le style Louis-Philippe. Le remarquable modèle de Vichy Enchères en offre un  bel exemple puisqu’il conjugue l’élégance de la ligne classique, la massivité des volumes et le raffinement de la courbe – évocation déjà de l’éclectisme. En outre, ses motifs ornementaux convoquent les références antiques par ses volutes et palmettes, ses pieds en console sous le clavier, ou encore ses trophées marquetés figurant un arc, des flèches et une trompette.

Mercier, chéri de l’Angleterre et de sa reine !

Lors d’un voyage à Londres en 1844, Mercier fut reçu par le prince Albert au château de Windsor, sous le patronage du chanteur d’opéra Luigi Lablache et du pianiste Sigismund Thalberg. Ce dernier avait eu l’occasion de jouer sur un piano de Mercier lors d’un concert en France et, très satisfait, l’avait vivement recommandé à son beau-père Lablache, alors installé à Londres. Sur place, Mercier fut conduit par Lablache et M. Costa au Prince, grand connaisseur de musique, pour s’entretenir avec lui de sa nouvelle invention, un piano droit à clavier et mécanique non mobiles, à cordes verticales, permettant de transposer n’importe quel morceau de cinq demi-tons plus haut ou plus bas, et mettant plusieurs milliers d’oeuvres à la portée de toutes les voix. Ce nouveau piano offrait ainsi une nouvelle gamme de six octaves et trois quarts, soit quatre-vingts notes.

Conquis par cette innovation, le “prince s’est empressé d’acheter ce piano-modèle et d’accorder le brevet de facteur de la reine Victoria à M. Mercier, en témoignage de sa vive satisfaction.”[1]. Les pianos furent même baptisés “The Royal Albert Pianofortes”.

A la suite de la famille royale, la noblesse britannique s’empara des pianos de Mercier.


[1] La France Musicale, 1844, p. 283

“Il est si difficile de rencontrer aujourd’hui la justesse du ton unie à la vibration, que je ne sais, vraiment, à quel facteur me confier ? Mais, j’y pense, Mercier (Boulevard Bonne-Nouvelle), n’est-ce pas lui qui a fourni à la comtesse de L** ce charmant petit meuble qui fait l’admiration de tous ses amis, qui charme autant les yeux qu’il résonne délicieusement à l’oreille. Oui, oui, c’est bien Mercier; j’irai chez lui. Patronné par le roi des français, la reine d’Angleterre et le roi de Suède, ses pianos droits sont supérieurs à ceux des autres facteurs et méritent bien la réputation qu’il s’est acquise.”

L’Étoile : revue du progrès : philosophie, littérature, beaux-arts, théâtres, modes, 22/03/1846, p. 94

Jusqu’il y a encore peu, on trouvait notamment au manoir musée de Finchcocks un piano-pont de Mercier. Réalisé en 1831 – c’est-à-dire la même année que le modèle en vente à Vichy Enchères le 4 novembre 2023 – ces deux pianos sont très similaires.

Enfin, soulignons que la firme Addison & Hodson devint propriétaire de l’invention du piano transpositeur de Mercier en 1844 – offrant un témoignage supplémentaire du succès de ce facteur en Angleterre.[1]


[1] The Musical World, Volume 20, 1845

Le piano-pont

Plus qu’un simple piano droit, le modèle de la vente Vichy Enchères du 4 novembre 2023 est dit “piano-pont” ou “piano à niche”. Mais de quoi s’agit-il exactement ?

Ce type d’instrument est caractérisé par ses cordes disposées en oblique et formant un angle assez obtu, permettant de réduire significativement la hauteur de l’instrument. Pour accéder aux cordes et à la mécanique, le piano s’ouvre par charnière sur un côté. La mécanique se trouve dans la partie avant, tandis que les cordes, le cadre et la table d’harmonie restent dans le corps arrière. Grâce à cette disposition en oblique, un espace en demi-cercle a pu être dégagé sous l’instrument, utilisé pour loger les pieds du musicien et localiser les pédales. C’est cette forme particulière qui lui valut le surnom de piano “niche de chien”, puisque l’on pouvait aussi y faire dormir son cher animal de compagnie… Ce type de piano fut très apprécié des pianistes jusque dans les années 1840.

Expositions et récompenses

Sébastien Mercier participa à la majorité des grandes expositions parisiennes de son temps et ses instruments furent récompensés d’un grand nombre de prix. Il obtint notamment la médaille de bronze à l’Exposition de Paris de 1839, la médaille d’argent à celle de 1844, la médaille d’or en 1849 ou encore la médaille de 1ère classe à l’Exposition universelle de 1855. Il exposa également deux instruments à l’Exposition universelle de Londres en 1851.

Nous vous donnons rendez-vous le 4 novembre 2023 pour la vente de ce précieux témoin du passé, faisant ressurgir la personnalité de Sébastien Mercier – ce facteur adulé des têtes couronnées – et témoigne de l’effervescence culturelle de l’Europe du XIXe !


SÉBASTIEN MERCIER: A PIONEER OF THE UPRIGHT AND “DOG KENNEL” PIANOS AT THE TIME OF THE JULY MONARCHY

An original piano by Sébastien Mercier – a maker popular with all the crowned heads of his time in Europe – will be auctioned on 4 November 2023. It was made in 1831, and takes us back to the time of the July Monarchy, when cultural activity was thriving in Europe and Paris was at its heart. This upright “dog kennel” piano is interesting for a number of reasons, and is testament to the demand for this instrument at the time and the innovative spirit of their makers. It is also an opportunity to look back at the life and work of Sébastien Mercier, the maker to Queen Victoria, whose pianos were named “The Royal Albert Pianofortes”.


One of the crown jewels of Parisian piano making

Sébastien Mercier’s activity as piano maker is believed to have started in 1822. After staying in Naples, and then for some time in Rome, where he was praised by none other than His Holiness Pope Pius VII, he decided to settle in Paris in 1824[1]. It was there that he trained in the art of upright piano making with the renowned Roller & Blanchet, at 10 Boulevard Poissonnière, who were the first to introduce the “dog kennel” piano at the National Exhibition, in 1827. In 1828, Mercier joined forces with Jean-Baptiste Gibaut, before setting up on his own in 1830, 4 rue Basse-Saint-Pierre, and then moving to 31 Boulevard-Bonne-Nouvelle. The “dog kennel” piano for sale on 4 November 2023 was made only a year after he set up his first workshop, as the inscriptions on its cartouche indicate. He was, alongside Maison Roller & Blanchet, one of the first to introduce the upright piano in France. His workshop quickly grew in popularity and considerably expanded as a result. In 1839, he had almost 30 employees. 

“This maker, one of Mr. Roller’s best apprentices, builds upright pianos with diagonal strings […] This distinguished artist employs twenty-seven workers and builds one hundred and twenty pianos per year.”

Rapport du Jury Central, Exposition, des produits de l’Industrie Française en 1839, M. Savart, rapporteur, 1839

[1] Annuaire Musical, 1857, p.188-189

There is no shortage of praise for him in the specialized press, which gives us a sense of the great reputation his workshop enjoyed. In 1834, the Notice des produits de l’industrie francaise read:

“Mr. Mercier is amongst the few to have most succeeded in improving the construction of this instrument. The elegance and smaller proportions of his pianos diminish neither the strength, nor the purity of sound, nor any of the other advantages that artists and those interested in the mechanics seek in the organic parts of a piano. The keyboard is responsive and easy to operate, and the keys respond well to the lightest or heaviest of pressure. […] We recommend amateurs visit Mr. Mercier’s workshops; they will find there a wide selection of pianos, whose superiority attests to his long studies and his experience in the manufacture of this instrument.”

Notice des produits de l’industrie française précédée d’une historique des expositions antérieures, 1834, p. 159

The maker to the crowned heads of Europe

At the Exhibition of French Industrial Products of 1834, one of the pianos presented by Sébastien Mercier was purchased for the Princess Royal of Sweden, which earned him the title of “maker to His Majesty the King of Sweden and Norway”.

On 17 August 1834, the Gazette musicale de Paris wrote on this subject: “We do not know to which extent the fantastic sound could have influenced the choice of Her Royal Highness. Those amongst our readers who would like to hear a piano with fantastic sound will have to pay a visit to Mr. Mercier, as this is something we cannot put into words.” [1] Six years later, in 1840, Charles Mercier obtained a similar distinction from the King of France, by being granted the title of habitual maker to King Louis-Philippe.


[1] Gazette musicale de Paris, le 17 août 1834, P.261

Aesthetically speaking, Sébastien Mercier’s pianos are very refined and were destined to a wealthy clientele. His upright pianos, and particularly the “dog kennel” type – of which Mercier’s 1831 instrument on sale on 4 November 2023 is an example – were indeed considered as works of art, worthy of featuring in sumptuous interiors, and they allowed the audience to see the face of the pianist during salon gatherings or social receptions.

Mercier’s piano manufacture is fully in keeping with the taste of the time and the style favoured by Louis-Philippe. The remarkable Vichy Enchères instrument offers a fine example of this – combining the elegance of classic lines, voluminous proportions and refined curves – which draws from a variety of styles. In addition, its ornamental motifs – its scrolls and palmettes, its console feet under the keyboard, or its inlaid trophies representing a bow, arrows and a trumpet – are inspired by antiquity.

Mercier, the darling of England and its queen

During a trip to London in 1844, Mercier was invited to Windsor Castle by Prince Albert, at the initiative of opera singer Luigi Lablache and pianist Sigismund Thalberg. The latter had the opportunity to play on a Mercier piano during a concert in France and, being very satisfied with it, had strongly recommended Mercier to his father-in-law Lablache, who was living in London at the time. While in London, Mercier was introduced by Lablache and Mr. Costa to the Prince, a great music connoisseur, to discuss with him his new invention: an upright piano with fixed keyboard and mechanics, and vertical strings, making it possible to transpose any piece five semitones higher or lower, and placing several thousand music works within the reach of all voices. This new piano featured a new range of six octaves and three quarters, or eighty notes.

Won over by this innovation, the “Prince was quick to purchase this piano prototype and to grant Mr. Mercier the title of maker to Queen Victoria, a testament of his great satisfaction.”[1]. These pianos were even named “The Royal Albert Pianofortes”.

Following in the footsteps of the royal family, the British nobility enthusiastically adopted the pianos by Mercier.


[1] La France Musicale, 1844, p. 283

“It is so difficult today to find consistent accuracy of tone throughout the string vibration, that I really do not know to which maker I should turn to. But, thinking about it, isn’t it Mercier (Boulevard Bonne-Nouvelle) who provided the Countess of L** with this charming little piece of furniture which is admired by all her friends, and which charms as much the eye as it resonates deliciously in the ear? Yes, yes, it’s the good Mercier indeed; I will go to him. He is maker to the King of France, the Queen of England and the King of Sweden, and his upright pianos are superior to those of other makers and well deserve the reputation they have acquired.”

L’Étoile : revue du progrès : philosophie, littérature, beaux-arts, théâtres, modes, 22/03/1846, p. 94

Until recently, there was a Mercier “dog kennel” piano at the Finchcocks Manor Museum. It was made in 1831 – i.e., the same year as the instrument for sale at Vichy Enchères on 4 November 2023 – and both these pianos are very similar.

Finally, it’s worth mentioning that the firm Addison & Hodson acquired in 1844 the patent for the invention by Mercier of the transposing piano – providing further evidence of the success of this maker in England.[1]


[1] The Musical World, Volume 20, 1845

The “dog kennel” piano

The instrument in the Vichy Enchères sale of 4 November 2023, typically referred to as “dog kennel” piano, is more than a mere upright piano. But what is it exactly?

This type of instrument features strings set diagonally, at a fairly obtuse angle, allowing the height of the instrument to be significantly reduced. To access the strings and hammers, the piano opens with a hinge on one side. The mechanics are located in the front part, while the strings, frame and soundboard are at the rear of the instrument. Due to the strings being at an angle, a semi-circular space could be created under the instrument, which housed the pedals and accommodated the musician’s feet. It is this particular feature that earned it the nickname of “dog kennel” piano, since one could also place their dear pet to sleep there… This type of piano was very popular until the 1840s.

Exhibitions and awards

Sébastien Mercier took part in most of the major Parisian exhibitions of his time and his instruments were awarded numerous prizes. In particular, he was awarded the bronze medal, silver medal and gold medal at the Paris Exhibition of 1839, 1844 and 1849 respectively, as well as the 1st class medal at the Universal Exhibition of 1855. He also exhibited two instruments at the Universal Exhibition in London in 1851.

We look forward to welcoming you on 4 November 2023 for the sale of this important testament to the past, which brings back to life the personality of Sébastien Mercier – this maker adored by the crowned heads of Europe – and which reminds us of the thriving cultural activity of 19th century Europe !

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