Une basse d’harmonie, instrument exceptionnel tant par sa rareté que par son intérêt historique, était proposée à la vente par Vichy Enchères le 27 juin 2020. L’occasion de revenir sur son inventeur, François Antoine Sautermeister, l’un des facteurs d’instruments les plus audacieux du début du XIXème siècle.
Originaire de Rottembourg dans le Wurtemberg, en Allemagne, où il naît en 1782, François Antoine Sautermeister s’établit dès 1809 à Lyon et y demeure jusqu’à sa mort en 1830, à l’âge de 46 ans.
Compagnon luthier au savoir-faire reconnu, il produit tous les instruments à vent, des bois aux cuivres, principalement destinés aux régiments de la région lyonnaise.
Animé par une imagination féconde et une volonté de fabriquer des instruments innovants dans le but de faciliter, et de perfectionner, la pratique musicale, il dépose dès 1812, soit seulement trois ans après son installation à Lyon, son premier brevet pour une “basse orgue” – acoustiquement comparable à une clarinette basse.
Fidèle à ses ambitions, il poursuit ses expérimentations et obtient, le 22 juin 1827, un nouveau brevet de cinq ans : celui de la “basse d’harmonie”, aussi dénommée “nouvel ophicléide”. Mais alors, de quoi s’agit-il ?
La basse d’harmonie est née de l’ambition de Sautermeister de fabriquer un instrument au son supérieur aux autres et à l’utilisation simplifiée.
Il la définit ainsi comme “un instrument à vent et à onze clefs”, donnant “des sons majestueux”, tout en offrant un doigté “facile”, “la plus parfaite justesse [et] tous les tons et demi-tons” (Mémoire de Sautermeister, 22 février 1827).
La recherche d’un son idéal explique aussi son étendue “de trois octaves et plus”.
Afin de simplifier la pratique de l’instrument, Sautermeister a pensé la division des onze trous et la manière dont les clefs les bouchent pour ”abréger beaucoup le travail des doigts” et pour rendre “l’instrument très avantageux et facile pour celui qui les joue”.
Outre ses onze clefs, la basse d’harmonie est composée d’une double coulisse – servant à s’accorder et à transposer l’instrument d’un demi-ton – d’une perce conique, de deux tubes, d’une embouchure à bassin rond (ou conique) et d’un pavillon évasé.
Perfectionniste, le facteur a finement travaillé le biseau et a annoté chaque clef par des numéros, faisant de la basse d’harmonie une véritable œuvre d’art.
Toujours fidèle à une conception ergonomique de l’instrument, Sautermeister a ajouté un petit réceptacle – une boule à vis – afin de récupérer et d’évacuer l’eau à l’intérieur de l’instrument.
On le constate, Sautermeister réfléchissait aux moindres détails et on ne s’étonnera donc pas qu’il ait anticipé la destination de l’instrument, qui pourrait être “employé avec le plus grand succès pour accompagner le plain chant ; ainsi que dans l’harmonie” – d’où son nom “basse d’harmonie”.
Comme son deuxième nom l’indique, ce “nouvel ophicléide” partage des points communs avec les ophicléides de l’époque, dont ceux des facteurs Halary et Labbaye. A titre d’exemple, le principe de la double coulisse était déjà généralisé sur les serpents droits et sur la plupart des ophicléides. Cependant, Sautermeister a mis au point de véritables innovations techniques. Selon Bruno Kampmann, expert en instruments à vent, et Jérôme Wiss, facteur d’instruments, de nombreux éléments sont révolutionnaires pour l’époque. Parmi ces éléments, on compte la boule à vis servant à recueillir la salive, utilisée par la suite par un grand nombre de facteurs de bassons russes et d’ophimonocléides, puis par Gautrot pour des sarrussophones.
Les supports réglables pour les mains, une autre invention de Sautermeister, furent également repris par Gautrot et par Sax, l’illustre facteur d’instruments à l’origine du saxophone. Mais, s’il ne fallait donner qu’un élément révolutionnaire, on s’en tiendrait au fait que la basse d’harmonie constitue une “synthèse entre l’ophicléide et le doigté du serpent et du basson russe” (Kampmann, Wiss, “La Basse d’Harmonie de Sautermeister”, Larigot n°55, mai 2015). Audacieux, Sautermeister a revu la géométrie de l’instrument en renversant les mains afin d’obtenir un doigté “plus logique que celui proposé par Halary et Labbaye”. L’usage habituel des deux mains a ainsi été radicalement inversé. C’est d’ailleurs probablement cette caractéristique qui explique aujourd’hui la grande rareté des basses d’harmonie.
En effet, très peu de modèles de basses d’harmonie ont été réalisés. Cela s’explique sans doute par le fait que les musiciens aient été réticents à l’idée de changer radicalement leur doigté. Aujourd’hui, seulement quelques
rares exemplaires sont connus. On en compte deux en laiton, correspondant exactement au brevet. Le premier estampillé “Sautermeister & Müller”, le second estampillé “Müller”.
Une troisième basse d’harmonie signée “Müller” existe également, mais ne correspond pas totalement au brevet (la première cheminée commence plus bas sur la petite branche). Enfin, on en connaît une quatrième, elle aussi
estampillée “Sautermeister & Müller”, dont la première cheminée commence également plus bas sur la petite branche et au bocal très différent (Kampmann, Wiss, “La Basse d’Harmonie de Sautermeister”, Larigot n°55, mai 2015). L’exemplaire mis en vente par Vichy Enchères, estampillé “Müller breveté à Lyon” est donc le cinquième et dernier connu. Tout à fait exceptionnel sur le marché, ce rarissime témoin d’une invention qui marqua l’histoire des instruments de musique, est un véritable objet de collection…
A harmony bass, an instrument exceptional for both for its rarity and its historical significance, was offered for sale by Vichy Enchères on 27 June 2020. This is the opportunity to discover its creator, François Antoine Sautermeister, one of the most innovative instrument maker of the early 19th century.
François Antoine Sautermeister was born in 1782 in Rottenburg in Württemberg, Germany, but later settled in Lyon in 1809, where he remained until his death in 1830, at the age of 46. He was a skilled maker and a member of the Guilds, and he produced all types of wind instruments, from woodwind to brass, mainly for the use of military band in the Lyon region. Driven by a fertile imagination and a desire to produce innovative instruments, with the aim of facilitating and perfecting musical practice, he laid down as early as 1812, only three years after settling in Lyon, his first patent for a “bass organ” – acoustically comparable to a bass clarinet. True to his ambitions, he continued his experiments and, on 22 June 1827, obtained a new five-year patent, for « harmony bass », also known as « new ophicleide ». Let’s examine what this instrument is.
The harmony bass was born from Sautermeister’s ambition to make an instrument that sounded better and was easier to use. He described it as “a wind instrument with eleven keys”, producing “majestic sounds”, while offering “easy” fingering, “the most perfect pitch accuracy [and] all the tones and semi-tones” (Mémoire de Sautermeister, 22 February 1827). This search for the ideal sound also explains its range “of three octaves and more”. In order to simplify the playing of the instrument, Sautermeister devised the organisation of the 11 holes and the way in which the keys close them to « simplify much the work of the fingers » and to make « the instrument very advantageous and easy for whoever plays it ».
In addition to its 11 keys, the harmony bass has a double slide – used to tune and transpose the instrument by a semitone – a conical bore, two tubes, a mouthpiece with a round (or conical) base and a flared pavilion. The maker, who was a perfectionist, finely worked the bevel and annotated each key with numbers, making the harmony bass a true work of art. Sautermeister also considered the ergonomic design of the instrument by adding a small receptacle – a ball with screws – that collects and evacuates the water inside the instrument. Indeed, Sautermeister thought about the most minute details of this new instrument, and it is therefore not surprising that he would have thought about its use: he thought it could be “used with the greatest success to accompany plainsong; as well as in harmony” – hence its name “harmony bass”.
As its second name suggests, this “new ophicleide” shares common characteristics with the ophicleides of the time, including those by makers Halary and Labbaye. For instance, the double slide was already a standard feature of straight snakes and most ophicleides. However, Sautermeister developed real technical innovations. According to Bruno Kampmann, expert in wind instruments, and Jérôme Wiss, instrument maker, many of its features are revolutionary for the time. Among these features, the ball with screws, used to collect saliva, was subsequently adopted by a large number of Russian bassoon and ophimonocleide makers, and later by Gautrot for sarrussophones.
The adjustable hand supports, another innovation of Sautermeister, were also copied by Gautrot and by Sax, the famous instrument maker at the origin of the saxophone. However, the most innovative aspect of the harmony bass is surely that it constitutes a “synthesis between the ophicleide and the fingering of the snake and the Russian bassoon” (Kampmann, Wiss, “La Basse d’Harmonie de Sautermeister”, Larigot n°55, May 2015). Sautermeister, who was constantly innovating, further modified the instrument by reversing the hands in order to obtain a fingering “more logical than that proposed by Halary and Labbaye”. The usual use of both hands was radically reversed in the process. It is probably this aspect that explains the great rarity of harmony basses today.
Indeed, very few harmony basses have been made. This is probably due to the fact that the musicians were reluctant to radically change their fingering. Today only a few examples are known. Two are in brass, and match exactly the patent. The first is stamped “Sautermeister & Müller”, and the second “Müller”. A third harmony bass stamped “Müller” also exists, but it does not fully correspond to the patent (the first chimney begins lower on the small branch). Finally, we know of a fourth example, also stamped “Sautermeister & Müller”, whose first chimney also starts lower on the small branch and with a very different tank (Kampmann, Wiss, “La Basse d’Harmonie de Sautermeister”, Larigot n°55, May 2015). The example for sale at Vichy Enchères, stamped “Müller brevete a Lyon” is therefore the fifth and last known. This extremely rare example is a real collector’s item, exceptional on the market, and bears witness to an invention that marked the history of musical instruments.