Née en 1909 à Concarneau, Jeannine Guillou est une artiste dont l’œuvre picturale, longtemps éclipsée, retrouve aujourd’hui une place méritée dans l’histoire de l’art moderne. Peintre et voyageuse insatiable, figure libre, elle a suivi un parcours personnel remarquable, dont la portée artistique, longtemps ignorée, se redécouvre peu à peu. La vente d’une de ses œuvres provenant du fonds d’atelier de Simon de Cardaillac, peintre ami de la famille, est l’occasion pour Vichy Enchères de mettre en lumière cette femme de l’ombre.
Dans le décor maritime de Concarneau, Jeannine Guillou découvre très tôt le goût de la peinture. À 14 ans, elle peint déjà. Sa famille, cultivée et ouverte, lui offre un terreau fertile, et elle grandit entre rigueur bourgeoise et stimulation artistique. Elle partage avec son cousin Jean Deyrolle un intérêt précoce pour l’art, arpentant les quais, carnet à la main.
Elle poursuit sa formation à l’École des arts décoratifs de Nice – avec Jeanne, la mère de Simon de Cardaillac -, où elle s’ouvre à l’enseignement classique tout en cultivant une approche personnelle, déjà marquée par une grande liberté. Elle épouse à 20 ans Olek Teslar, peintre polonais fantasque qui l’initie à la vie d’artiste itinérante. Ensemble, ils voyagent à travers la Pologne, les Carpates, puis vivent au Maroc, où leur fils Antoine Tudal – dit Antek – naît.
L’œuvre de Jeannine Guillou frappe par sa cohérence et sa force discrète. Peintre de la lumière et de la structure, elle développe une écriture visuelle influencée par le cubisme mais sans rigidité. Ses paysages – Nice, le Maroc, l’Italie – témoignent d’un sens aigu de la composition et d’une palette à la fois sobre et vibrante. Elle affectionne les formats modestes, les scènes quotidiennes, les atmosphères silencieuses : à l’image du paysage enneigé de la vente du 19 juin 2025.
Ses gouaches et fusains révèlent une grande spontanéité du geste, un trait sûr, nerveux, mais jamais brusque. Ses portraits, souvent intimes, reflètent une attention au visage, à la posture, au regard. On devine une artiste proche de l’essentiel, débarrassée des effets, qui cherche moins à séduire qu’à traduire un monde intérieur.
En 1937, à Marrakech, Jeannine croise la route de Nicolas de Staël. La rencontre est spontanée, naturelle, presque anodine – elle l’entend demander de la terre pour sculpter dans un café, et l’invite chez elle[1]. C’est un geste simple, mais déterminant. À partir de ce jour, ils partagent leur vie, leur art, leur précarité.
Durant les années difficiles qui suivent – Algérie, Italie, puis Nice pendant la guerre – c’est Jeannine qui fait vivre le couple grâce à ses ventes. Elle peint, expose, vend. Elle soutient, critique, accompagne. Elle encourage Nicolas de Staël à affirmer sa propre voie, à chercher, à douter aussi. Cette attitude n’est pas un effacement, mais plutôt un dialogue d’égal à égal, où Jeannine reste peintre, tout en étant aussi la première spectatrice et mécène de son compagnon.
Les lettres et carnets retrouvés, les témoignages de sa fille Anne de Staël, et les œuvres elles-mêmes, confirment aujourd’hui ce rôle central dans les années de formation du peintre.
[1] Voir documentaire Portraits de Jeannine, Catherine Aventurier, Am Art Films, 2024
Les années 1937 à 1945 sont celles d’un nomadisme fécond. Le couple voyage, peint, observe. Jeannine, toujours attentive à son environnement, capte les couleurs du Maroc, les lumières d’Italie, l’austérité du Midi. L’œuvre de la vente Vichy Enchères du 19 juin 2025 provenant du fonds d’atelier de Simon de Cardaillac en offre un beau témoignage.
Cette encre représente un paysage enneigé de la vallée d’Amizmiz, au Maroc, dominé par la chaîne montagneuse du Haut Atlas. Jeannine Guillou a probablement réalisé cette œuvre à l’époque de sa rencontre avec Nicolas de Staël. Son premier époux, Olek Teslar, réalisa d’ailleurs une vue similaire en 1939.
Jeannine Guillou est aussi une femme de son temps, engagée dans la modernité sans militantisme. Elle vit ses choix, les assume, ne les justifie pas. Elle n’a pas de manifeste, pas d’école, mais une ligne de vie claire : peindre, transmettre, aimer.
Après sa mort en 1946, à seulement 36 ans, Jeannine Guillou tombe dans l’oubli. Nicolas de Staël poursuit sa trajectoire fulgurante, habité par la perte. Il dira d’elle qu’elle lui a « tout donné » et que son œuvre continue à vivre « chaque jour » en lui.
Aujourd’hui, les efforts de sa fille Anne, les expositions récentes, les travaux critiques et le documentaire de Catherine Aventurier Portraits de Jeannine contribuent à redonner sa juste place à cette artiste. Non pas en l’annexant à l’histoire de Nicolas de Staël, mais en l’inscrivant dans son propre droit : une femme, une peintre, une voix.
Son œuvre n’est pas tragique. Elle est vivante, ancrée, puissante. Elle mérite d’être regardée non comme une trace du passé, mais comme une leçon de liberté et de justesse dans l’acte de peindre, que Vichy Enchères est fier de vous faire redécouvrir à l’occasion de la vente du 19 juin 2025.
Born in 1909 in Concarneau, Jeannine Guillou is an artist whose pictorial work, long overshadowed, is now regaining a deserved place in the history of modern art. An insatiable painter and traveller, a free spirit, she followed a remarkable personal path, whose artistic significance, long ignored, is gradually being rediscovered. The sale of one of her works from the studio collection of Simon de Cardaillac, a painter and friend of the family, is an opportunity for Vichy Enchères to shed light on this woman in the shadows.