Le 5 juin 2025, deux archets de Christophe Schaeffer seront vendus à Vichy Enchères, l’occasion pour nous de revenir sur le parcours de cet archetier discret et exigeant.
Né en 1958 au Mans, Christophe Schaeffer grandit à Valence, dans la Drôme. Très tôt, il révèle des dispositions naturelles pour la musique et plus particulièrement pour le violon. Son aisance technique et sa sensibilité lui permettent de s’illustrer dans le répertoire classique dès l’adolescence. C’est une rencontre déterminante avec le luthier Jean-Yves Rouveyre[1] qui oriente sa trajectoire – celui-ci lui conseillant de se tourner vers la facture instrumentale. Dès 1974, il intègre alors l’École nationale de lutherie de Mirecourt.
[1] Reindorf, Mark. “On
Ce sentiment change rapidement grâce à la personnalité de son professeur, Bernard Ouchard, figure fondatrice de l’enseignement moderne de l’archet en France. Dans l’atelier comme à l’établi, Schaeffer trouve un lieu de discipline et de dépassement, une forme de rigueur qui va marquer durablement son rapport au métier :
“Bernard Ouchard nous a appris la rigueur, l’exigence, la pugnacité, et de ne jamais se satisfaire de l’à peu près.”
Christophe Schaeffer, interview, 6 mai 2025
Christophe Schaeffer étudie à Mirecourt de 1974 à 1977, au sein de la première génération d’archetiers jamais formés. Créée en 1970, cette formation d’État, confiée à Bernard Ouchard – fils d’Émile Auguste Ouchard – entend redonner à l’archet français sa vitalité d’antan. Le programme combine rigueur classique et adaptation aux exigences contemporaines. Christophe Schaeffer partage notamment sa formation avec Didier Claudel et Jean-Pascal Nehr[1].
L’enseignement d’Ouchard forge en lui un sens aigu de la précision, de l’honnêteté du trait et de l’intégrité. Une « réelle complicité » s’établit entre le maître et l’élève.
[1] Mirecourt Bowing to the French, The Strad, 1984/85P
“Il avait la sensibilité de l’ homme blessé, mutique et peu extensible en compliments, rigoureux comme la parfaite droiture de la baguette.”
Dans une lettre adressée à Philippe Dupuy en 1978, Ouchard le désigne d’ailleurs comme l’un de ses meilleurs élèves.
À seulement 20 ans, en 1978, il reçoit la médaille d’or de la Violin Society of America pour un archet de violoncelle – une distinction rare qui le propulse immédiatement parmi les jeunes archetiers les plus prometteurs de sa génération.
C’est à l’occasion du festival de la Sainte-Cécile à Mirecourt que Christophe Schaeffer fait la connaissance de Philippe Dupuy, luthier à Paris et petit-fils d’Eugène Sartory. Leur relation démarre par l’achat d’un violon, mais devient rapidement professionnelle. Philippe Dupuy, en quête de nouveaux archets pour sa clientèle et disposant d’un remarquable stock de bois anciens, lui propose de l’installer dans un atelier à Avignon.
Pendant plusieurs années, Christophe Schaeffer y produit un minimum de trois archets par mois, s’effaçant humblement sous la signature « Dupuy à Paris ». Cette période est pour lui fondatrice, puisqu’elle lui offre une liberté totale de recherche et un cadre exempt de pression commerciale. Il déclare avoir été « immergé dans une recherche sans concession », capable de sonder ses erreurs pour en tirer le meilleur. Il qualifie cette phase de « découverte tous azimuts »[1].
S’il se réfère au style d’Eugène Sartory dans sa recherche de robustesse, d’équilibre ou dans sa maîtrise, il s’en écarte toutefois en refusant la copie, cherchant toujours à « rester vierge de toutes influences »[2]. Son style qui, dans les premières années, restait empreint de la manière d’Ouchard, commence dès lors à s’individualiser.
[1] Christophe Schaeffer, interview, 6 mai 2025
[2] Christophe Schaeffer, interview, 6 mai 2025
À partir des années 1990, Christophe Schaeffer affirme un style distinct, fondé sur la sobriété, la qualité de la cambrure et le soin apporté à la densité sonore. Il développe ce qu’il appelle lui-même une esthétique « assagie, efficace, mûrie ». Les têtes de ses archets adoptent une ligne douce, fluide, inspirée de Nicolas Voirin, Lamy Père et Eugène Sartory, loin de la rigueur tranchée des modèles à la Peccatte :
« Je n’ai pas quitté cette volonté de plaire à Bernard Ouchard et à Philippe Dupuy, qui préféraient les têtes rondes. »
Christophe Schaeffer, interview, 6 mai 2025
Deux archets emblématiques de cette période, réalisés en 1995, seront proposés à la vente le 5 juin 2025 à Vichy Enchères. Le premier, un archet de violon monté écaille et or, synthétisant cette tension entre raffinement formel et efficacité acoustique ; le second, un archet d’alto monté argent, illustrant une conception sobre mais exigeante de l’instrument.
En effet, la signature de Christophe Schaeffer ne se trouve pas dans l’ornement, mais dans la conception de l’archet. Il accorde à l’équilibre dynamique de la baguette une importance primordiale. L’objectif est d’obtenir une « sensation plaisante dans la main du musicien », une « stabilité avant même que l’archet ne touche la corde, et après qu’il l’ait quittée. » Il recherche ce qu’il appelle « le gras du son »[1], la densité pleine, les résonances harmoniques. Son œil guide le choix du bois – souvent des baguettes anciennes issues du stock de Dupuy -, mais c’est par le travail, l’écoute et l’intuition qu’il révèle le potentiel acoustique. Il repousse parfois très loin la finition, en incorporant des cercles en nacre entièrement faits à la lime ou des boutons facettés, mais il associe cette préciosité à l’insouciance de la jeunesse.
Ses œuvres ne visent pas à séduire. Elles cherchent à soutenir, à prolonger l’expression musicale, dans une fidélité absolue à la matière, à la main, et à une certaine idée du silence intérieur de l’artisan.
« Mes archets m’ont tellement captivé qu’ils m’ont capturé et utilisé tout le long de ma vie, sans que j’ai eu vraiment le temps de m’en rendre compte, pour qu’ainsi, je puisse avoir le temps d’essayer de leur donner cette idée de beauté qu’ils n’ont jamais cessé de mériter, sans qu’eux-mêmes, ils n’aient jamais pu oser la demander… »
Christophe Schaeffer, interview, 6 mai 2025
[1] Christophe Schaeffer, interview, 6 mai 2025
Christophe Schaeffer a toujours préféré le retrait à la scène, la solitude de l’atelier à la compétition. Il reste pourtant une figure discrètement essentielle de l’archèterie française contemporaine. Estimé par ses pairs, il est souvent cité comme un artisan d’exception, dont la cohérence stylistique et la qualité de production traversent les décennies. Ses collaborations et son respect pour le travail de ses confrères témoignent de son ouverture, même s’il se tient toujours « un peu à l’écart ».
Les ventes passées chez Vichy Enchères documentent la richesse de son travail : des archets de violoncelle montés or, ivoire, écaille aux modèles d’alto signés dans les années 1990, en passant par des pièces à l’état neuf issues de ses débuts sous la signature Dupuy, etc. La constance de qualité, l’exigence intérieure et la sincérité de la démarche en font un corpus rare, recherché des musiciens comme des collectionneurs.
À travers sa production, c’est toute une certaine idée de l’archet français – humble, exigeant et au service des musiciens – qui se prolonge. Et peut-être aussi, une leçon silencieuse – celle de l’artisan qui œuvre pour la beauté, sans jamais la revendiquer.
On 5 June 2025, two bows by Christophe Schaeffer will be sold at Vichy Enchères, giving us the opportunity to look back at the career of this discreet and demanding bow-maker.