Ce basson en érable ondé à 4 clés de Charles Bizey, constitue un jalon dans l’histoire de la facture instrumentale française. Estampillé “BIZEY / À PARIS” sur chacun de ses corps, il est considéré comme le plus ancien basson français complet connu. Actif à Paris dès 1716, Bizey est l’un des premiers facteurs à avoir défini les caractéristiques du basson à la française. Très peu de bassons de sa main sont conservés – seuls deux exemplaires originaux sont actuellement recensés – dont un dont il ne reste que la culasse. Fondateur d’une véritable école parisienne, Bizey a exercé une influence décisive sur ses successeurs, parmi lesquels son neveu et élève Prudent Thieriot, puis Dominique Porthaux et la dynastie Savary, qui feront perdurer son modèle avant l’essor de celui allemand au XIXe siècle. Intégralement marqué et complet, cet instrument est exceptionnel par son état et sa rareté, et s’offre à nous comme une pièce de référence pour l’étude des bois anciens.
Au début du XVIIIème siècle, la facture parisienne connaît un nouvel essor, impulsé notamment par l’atelier de Charles Joseph Bizey, l’un des meilleurs facteurs de son temps.
Reçu maître de la communauté des facteurs d’instruments et musiciens de Paris en 1716, on sait qu’il était établi rue Mazarine de 1728 à 1734, puis rue Dauphine à partir de 1749[1]. Dès 1721, sa réputation dépassait déjà les frontières, puisqu’il fournissait deux hautbois à la cour de Munich cette année-là[2].
[1] William Waterhouse, The New Langwill Index, A Dictionary of Musical Wind-Instrument Makers and Inventors, Tony Bingham, London, 1993
[2] Susannah Cleveland, Eighteenth-Century French Oboes: A Comparative Study. Master of Music (Musicology), Mai 2001, p.14
En 1752, il était l’un des cinq maîtres luthiers référencés à Paris. Puis, comme on peut le lire dans l’ouvrage de Constant Pierre, il cessa vraisemblablement de travailler jusqu’en 1769, car son nom n’apparaît plus dans l’Almanach[1].
[1] Constant Pierre, Les facteurs d’instruments de musique, Paris, Ed. Sagot, 1893
Charles Bizey est également connu pour avoir formé plusieurs apprentis. A partir de 1747, il eut Prudent Thieriot en apprentissage pendant six ans, comme en attestent les instruments signés “Prudent Bizey” jusqu’en 1751. Il forma également Paul Villars[1]. Charles Bizey se maria à trois reprises, avec des épouses issues du milieu de la facture d’instruments. Il épousa en premières noces Elizabeth Simonne Chalopet en 1742, paroisse Saint-Sulpice.
Après le décès de celle-ci, il se remaria en janvier 1748 avec Anne Simonne Villars, membre de la famille de son apprenti Paul Villars. Enfin, Bizey prit pour troisième épouse Anne Marguerite Chalopet le 18 avril 1751 à Saint-André-des-Arts[2].
Bizey est le premier d’une dynastie de facteurs de grande renommée installés dans l’atelier de la rue Dauphine. À sa mort en 1758, l’atelier fut repris par son élève Prudent, qui épousa en 1758 la sœur de sa 3ème épouse. Après Prudent, l’atelier fut racheté par Dominique Porthaux, qui épousa en 1777 la sœur de celui-ci.
L’atelier de la rue Dauphine était très réputé et marqua l’histoire, notamment grâce à sa production d’instruments à anche double de grande qualité.
Comme on peut l’observer sur le basson en vente à Vichy Enchères, Charles Bizey marquait ses instruments par une fleur-de-lys au-dessus de son nom, suivi parfois de la localisation “A PARIS” et d’un soleil. Villars et Prudent adoptèrent tous deux la fleur-de-lys de leur maître.
[1] http://joel.arpin.free.fr/pages_fr/bizey.html
[2] William Waterhouse, The New Langwill Index, A Dictionary of Musical Wind-Instrument Makers and Inventors, Tony Bingham, London, 1993
Charles Bizey a fabriqué une large gamme d’instruments de la famille des bois, reflétant la polyvalence des ateliers parisiens de l’époque. Malheureusement, peu d’instruments sont parvenus jusqu’à nous. On en connaît environ une trentaine, comprenant trois flûtes à bec, des flûtes traversières, une flûte basse à cinq clés, des hautbois, des hautbois da caccia, des bassons et des cervelas. Bizey fut notamment l’un des premiers facteurs à réaliser des flûtes traversières en quatre corps[1].
Il s’est surtout fait un nom grâce à ses instruments à anche double, en particulier ses hautbois, réputés d’une qualité exceptionnelle, à l’exemple du remarquable modèle vendu à Vichy Enchères le 7 mai 2022.
Charles Bizey est aussi connu pour avoir conçu un hautbois baryton d’un grand intérêt, que le facteur Guillaume Triébert redessina en 1823.
Un entrefilet publié dans le Mercure de France de décembre 1749 soulignait l’esprit inventif de Bizey, présenté comme un “inventeur de plusieurs instruments à vent” qui “travaille toujours avec succès et perfectionne plus que jamais ces sortes d’instruments […]. Il a même depuis peu inventé des hautbois qui descendent jusqu’au Gérosol, comme le violon; il en a aussi inventé d’autres qui sont à l’octave des hautbois ordinaires, imitant parfaitement le cor de chasse”[1].
[1] Le Mercure de France, décembre 1749, dans William Waterhouse, The New Langwill, Tony Bingham, 1993, p.34
[1] Tula Giannini, Great Flute Makers of France, The Lot and Godfroy families, 1650 – 1900, Tony Bingham, 1993
Ces mentions laissent entendre que Bizey avait mis au point des hautbois ténors descendants plus bas que la tessiture habituelle – jusqu’au sol dièse, registre du violon – ainsi que des hautbois petits format à sonorité de type cor de chasse.
Bien que moins nombreux que ses hautbois, les bassons de Bizey représentent un jalon essentiel dans l’histoire du basson “à la française”. Jusqu’à ce jour, seulement deux modèles lui étaient attribués avec certitude. Le premier, conservé au Beethoven-Haus de Bonn, est un instrument complet, en érable, muni de cinq clés en laiton. Il est daté du premier tiers du XVIIIème siècle et, de part sa rareté, il a servi de modèle de référence pour des copies modernes. Avant la découverte de ce nouveau basson à Vichy Enchères, aucun autre exemplaire aussi complet que le modèle de Bonn n’était connu.
Le second instrument connu jusque-là est une culasse – la pièce inférieure du basson – portant la marque Bizey. Elle est aujourd’hui conservée dans la collection particulière d’un célèbre bassoniste[1]. Les autres parties ont été refaites pour permettre la reconstitution de l’instrument.
Le basson mis en vente par Vichy Enchères présente une configuration encore plus remarquable que ces deux modèles, puisqu’il est complet – seul le bocal manque – et en état d’origine, avec ses quatre clés en laiton d’époque et une touche papillon typique de la facture française. La présence de la marque sur les quatre corps le rend unique.
[1] chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://davidrachor.com/wp-content/uploads/2023/06/Bizey1-O-PapasergioVergat-General-Information.pdf
Il s’agit, en l’état des connaissances, du plus ancien basson français complet attesté. Réalisé durant le premier tiers du XVIIIe siècle, il est donc une pièce de référence absolue pour l’organologie et l’histoire de l’instrument.
Notons enfin que le Musée de la Musique de Paris conserve un rare cervelas du facteur, recouvert de cuir fleurdelisé.
L’influence de Charles Bizey sur la facture du basson s’exerça à travers ses élèves et successeurs. Comme nous l’avons mentionné, son atelier forma Prudent Thieriot, qui devint après lui le facteur de référence à Paris pour les bassons. La production de bassons parisiens augmenta considérablement dans les décennies suivant Bizey. A la mort de Prudent en 1786, l’inventaire de son atelier faisait état de 205 bassons en stock ou en cours de fabrication.
L’histoire du basson remonte au XVIème siècle, où son ancêtre le plus direct, le dulcian – ou curtal – était utilisé dans les ensembles de musique ou les chapelles princières. Ce type d’instrument, monobloc et sans clé ou presque, était taillé dans une seule pièce de bois et présentait une perce repliée en U interne. Il était joué avec une anche double semblable à celle du hautbois et son registre couvrait les lignes graves de la polyphonie[1].
Le basson dérive aussi du fagotto italien, conçu au XVIIème siècle pour remplacer le dulcian de la Renaissance.
[1] Gunther Joppig, Hautbois et basson, leur histoire, leur famille, leur répertoire, Payot Lausanne, 1981
C’est au tournant des XVIIème et XVIIIème siècles que le basson moderne émerge progressivement. La transformation essentielle consista à diviser le corps en plusieurs sections, quatre corps, facilitant à la fois le transport et l’accord. Cette évolution s’opéra de manière simultanée dans plusieurs centres européens. L’Allemagne et la France jouèrent un rôle majeur dans ce développement, avec des représentants comme la famille Grenser en Allemagne – Vichy Enchères a vendu plusieurs exemplaires exceptionnels de Heinrich Grenser – et Charles Bizey et ses successeurs en France. Le basson devint à cette époque un instrument à part entière de l’orchestre baroque, apparaissant dans les effectifs dès Lully et Campra, puis dans ceux de Rameau, Haendel ou Vivaldi.
En France, l’utilisation du basson est attestée au XVIIème siècle, mais les instruments conservés ne remontent guère au-delà du premier tiers du XVIIIème siècle. Les sources documentaires évoquent les familles Philidor, Hotteterre ou Naust comme les premiers facteurs actifs[1], mais aucun instrument de leur main n’est parvenu jusqu’à nous.
Il faut attendre le XVIIIème siècle pour que se constitue une véritable “école parisienne” du basson, avec des caractéristiques identifiables, telles que l’érable finement tourné, les clés en laiton montées dans des blocs, le profil mince et droit du pavillon, les estampilles ornementées.
Dès les années 1720-1730, l’atelier parisien de Bizey contribue à l’essor du basson en France. L’usage de l’instrument grandit au sein des orchestres royaux et du Concert Spirituel.
Il ouvre ainsi une lignée qui inclut Prudent Thieriot, Dominique Porthaux (actif dans les années 1770) et Nicolas Savary (actif jusqu’au XIXe siècle). Ces facteurs fournissent les musiciens de la Chapelle royale, de l’Opéra de Paris et du Conservatoire créé en 1795.
[1] Voir notamment Ernest Thoina, Les Hotteterre et les Chédeville, célèbres joueurs et facteurs de flûtes, hautbois, bassons et musettes des XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Edmond Sagot, 1894
Il faudra attendre l’invention du basson “romantique” à 16 ou 17 clés par Johann Adam Heckel au XIXème siècle en Allemagne pour mettre fin à la prééminence de l’instrument français,
mais de nombreux musiciens, à l’instar de Jean-Marie Heinrich ou Maurice Allard, joueront sur des modèles français, perpétuant cette tradition.
Si l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas ont fourni des témoignages précoces, la France, malgré son rôle central dans la musique européenne, conserve peu de traces matérielles de ses tout premiers bassons. Les exemplaires subsistants du début du XVIIIème siècle sont rares, souvent attribués à l’étranger, et parfois modifiés. Parmi les premiers bassons identifiés, le plus ancien documenté dans une collection publique est conservé à la Bate Collection de l’Université d’Oxford. Daté autour de 1720, cet instrument à quatre clés n’est malheureusement pas signé mais pourrait être l’œuvre du facteur français Dondeine. Il s’agit d’un exemple précieux de la facture française baroque, identifiable à ses proportions et son perçage étroit, témoignant des premières standardisations du modèle à quatre parties. Cette pièce constitue un témoin rare des débuts du basson moderne tel qu’il s’est fixé en France au tournant du XVIIIème siècle. Le Metropolitan Museum of Art de New York conserve également un basson français, attribué à Dominique Antony Porthaux, actif à Paris entre 1790 et 1800.
On retrouve, dans la même collection, un basson du facteur parisien Jean-Jacques Baumann, fabriqué entre 1813 et 1825 qui atteste du développement des clés et de l’adaptation progressive du basson aux exigences du répertoire du XIXème siècle. Il faut aussi mentionner le basson de Jean-Nicolas Savary daté de 1824, conservé à l’Université d’Édimbourg (Music Museum). Enfin, le Musée de la Musique de Paris conserve un rare exemplaire de basson ottavino réalisé par Jacoby Fils, facteur actif en France au XVIIIème siècle. À cette liste s’ajoute un basson anonyme français du XVIIIème siècle conservé au Museu de la Música de Barcelone et un autre basson anonyme de l’école française conservé au Musée de la Musique de Paris. Au regard de cet inventaire, l’instrument de Bizey découvert à Vichy Enchères peut donc être considéré comme le plus ancien basson français connu et attribué de manière certaine, qui nous soit parvenu. Il s’agit donc d’une pièce exceptionnelle et historique.
En dehors des collections publiques françaises, on retrouve des bassons du XVIIIème siècle dans les collections étrangères, et notamment en Allemagne. Le Germanisches Nationalmuseum de Nuremberg possède un ensemble particulièrement riche de bassons et dulcians. Il conserve, entre autres, un dulcian de Johann Christophe Denner réalisé avant 1700 et un basson à quatre clés de Jacob Denner, daté d’avant 1735. Le même musée conserve un basson de Johann Wolfgang Königsberger, daté vers 1740. Un autre modèle, probablement fabriqué à la même époque par Johann Heinrich Eichentopf, figure dans la collection avec une facture qui évoque l’influence de Leipzig ou Dresde. Toujours au Germanisches Nationalmuseum, un instrument attribué à Johann August Crone, daté vers 1770, témoigne d’une facture saxonne plus tardive. D’autres bassons de facteurs allemands sont représentés dans cette collection, comme L. Kraus et Ignaz Huittl, respectivement de la première et de la deuxième moitié du XVIIIème siècle.
Une documentation iconographique complémentaire est également conservée dans ce musée, à l’image d’une estampe représentant un jeune homme jouant du basson, qui fournit un témoignage sur l’usage de l’instrument en contexte civil ou domestique au XVIIIème siècle.
Le Metropolitan Museum of Art de New York conserve également plusieurs bassons du XVIIIème siècle et début du XIXème siècle, dont un basson de Johannes Scherer, vers 1750-1770, et de Wolfgang Thomae, réalisé également vers 1750. Plus rare encore, est conservé dans la collection un basson fabriqué vers 1811 par John Meacham, facteur actif aux États-Unis. On peut également signaler un modèle réalisé en 1771 par l’atelier Jeanneret, probablement d’origine suisse, de facture intermédiaire entre les modèles français et germaniques.
La redécouverte de ce basson de Charles Bizey vient donc enrichir notre connaissance de l’histoire de l’instrument en nous fournissant un nouvel exemple de la facture française. Réalisé durant le premier tiers du XVIIIème siècle et entièrement estampillé “BIZEY / À PARIS”, cet instrument est aujourd’hui considéré comme le plus ancien basson français complet connu et attribué. Son état de conservation exceptionnel et sa provenance en font une pièce de référence pour l’étude du “basson à la française” et des débuts de l’école parisienne. Témoignage direct de la maîtrise et de l’inventivité de Bizey, il éclaire la transition entre les modèles baroques européens et la facture française classique. Alors ne manquez pas la vente de ce basson historique à Vichy Enchères le 15 novembre 2025 – une occasion unique d’approcher un instrument fondateur de l’histoire de la lutherie française.
This 4-key flamed maple bassoon by Charles Bizey is a milestone in the history of French instrument making. Stamped “BIZEY / À PARIS” on each of its bodies, it is thought to be the oldest known complete French bassoon. Active in Paris from 1716, Bizey was one of the first makers to define the characteristics of the French bassoon. Very few bassoons by his hand have survived – only two original examples are currently known to exist – one of which has only the breech. The founder of a veritable Parisian school, Bizey exerted a decisive influence on his successors, including his nephew and pupil Prudent Thieriot, then Dominique Porthaux and the Savary dynasty, who were to perpetuate his model before the rise of the German model in the nineteenth century. Fully marked and complete, this instrument is exceptional in terms of its condition and rarity, and stands as a benchmark for the study of early woodwinds.