Vichy Enchères

Découverte d’un nouvel archet de François-Xavier Tourte à provenance historique : une commande de Karl Alexander Benjamin Uber

Cette découverte enrichit le corpus très restreint d’archets de François-Xavier Tourte dont le premier propriétaire est identifié, tout en apportant un éclairage nouveau sur les modalités de diffusion du modèle parisien en Allemagne. Karl Alexander Benjamin Uber s’inscrit dans le réseau France, Silésie, Prusse, qui fit triompher l’archet de Tourte dans l’espace germanique. Les lieux qu’il fréquente – Breslau, Cassel et Carolath – furent aussi ceux de Rodolphe Kreutzer, Bernhard Romberg, ou encore de Louis Spohr, tous utilisateurs attestés d’archets de Tourte. Sa proximité avec ces grands musiciens, mais également avec les élites princières qui entretenaient des relations diplomatiques et artistiques avec la capitale française, le situent au cœur d’un axe franco-prussien rendant plausible un accès direct aux archets de François-Xavier Tourte.


Origines familiales et formation musicale

Karl Alexander Benjamin Uber, dit Alexandre Uber, est né en juin 1783 à Breslau, alors en Silésie prussienne, aujourd’hui Wrocław, en Pologne. Il est le fils du juriste et musicien amateur Christian Benjamin Uber (1746–1812) et le frère cadet de Christian Friedrich Hermann Uber (1781–1822), qui deviendra lui-même compositeur et Kapellmeister (chef d’orchestre/maître de chapelle).

Alexandre Uber baigne dès l’enfance dans les hautes sphères du milieu de la musique de la région. Son père organisait deux concerts par semaine à leur domicile – l’un consacré aux symphonies, l’autre à la musique de chambre[1]. Ces soirées privées attiraient des musiciens de talent, tels que Carl Maria von Weber, dont la carrière débuta justement à Breslau, ainsi que l’organiste Friedrich Wilhelm Berner et le pianiste Joseph Klingohr[2].

En parallèle, Alexandre Uber étudie le violon avec Johann Janitzek (écrit aussi Janetzek ou Jannizeck), puis se tourne vers le violoncelle sous l’enseignement de Johann Zacharias Jäger (père). Enfin, il suit des cours de théorie musicale donnés par le compositeur Joseph Schnabel[3]. Uber s’affirme rapidement comme un violoncelliste précoce et virtuose. En 1804, alors qu’il n’a que 21 ans, il entreprend sa première tournée de concerts en Allemagne et rencontre un vif succès, comme en atteste la presse de l’époque[4].


[1] Wilhelm Joseph von Wasielewski, The Violoncello and Its History. Traduit par Isobella S. E. Stigand. Londres ; New York : Novello and Company ; Novello, Ewer and Co., 1894

[2] Wilhelm Joseph von Wasielewski, The Violoncello and Its History. Traduit par Isobella S. E. Stigand. Londres ; New York : Novello and Company ; Novello, Ewer and Co., 1894

[3] Wilhelm Joseph von Wasielewski, The Violoncello and Its History. Traduit par Isobella S. E. Stigand. Londres ; New York : Novello and Company ; Novello, Ewer and Co., 1894

[4] Tom Moore, The Themes Variés pour Flûte Seule, œuvre 40-41 of A. Uber. https://www.academia.edu/15853396/The_Themes_Vari%C3%A9s_pour_Flute_Seule_oeuvre_40_41_of_A_Uber

Carrière itinérante et postes de Kapellmeister

A partir de 1804, Alexander Uber mène une carrière itinérante de violoncelliste et de Kapellmeister. Une de ses partitions acquises par le musicologue et collectionneur autrichien Aloys Fuchs, aujourd’hui conservée à la Staatsbibliothek de Berlin, porte une annotation de 1829, “Alexandre Uber Capellmeister des Königs von Westphalen”, laissant entendre qu’il aurait même été le maître de chapelle du Roi de Westphalie, c’est-à-dire Jérôme Bonaparte, autour de 1807-1813[1]. Le royaume de Westphalie couvrait l’Allemagne centrale et avait pour capitale Cassel.


[1] Alexandre Uber, Zwey Lieder für eine Singstimme mit Clavierbegleitung (manuscrit autographe, Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin, Mus.ms.autogr. Uber, A. 2 M, ca 1800-1824 ; provenance : Alexander Uber – Aloys Fuchs – Friedrich August Grasnick – Königliche Bibliothek Berlin) https://opac.rism.info/id/rismid/rism1001018907

On sait qu’Alexandre Uber travailla pendant une courte période au domaine seigneurial de Borkau, propriété du conseiller administratif Ernst Lucas, près de Glogau[1]. Un article paru dans l’Allgemeine musikalische Zeitung de Leipzig en 1819 nous indique qu’il fut aussi aux services du prince de Leiningen avant cette date[2].


[1] https://weber-gesamtausgabe.de/en/A001990.html

[2] Allgemeine musikalische Zeitung, Leipzig, n°21, 3.02.1819

Il séjourne par la suite en Suisse, à Bâle, autour de 1820, où il s’établit et se marie. Plusieurs comptes rendus de concerts à Bâle attestent ainsi de sa présence. On apprend entre autre qu’à l’automne 1818, l’orchestre de Bâle donne un concert “sous la direction d’Alexander Uber”[1]. Uber participe également au festival de la Société musicale suisse tenu à Bâle en juin 1820, avant de rentrer à Breslau en 1821. En 1822, il est engagé comme Musikdirektor et Kapellmeister par Heinrich Karl Wilhelm von Schoenaich-Carolath, prince de Carolath-Beuthen[2].


[1] Albrecht, Theodore. “E. C. Lewy and Beethoven’s Ninth Symphony Premiere.” The Horn Call: The IHS Journal, vol. XXIX, no. 3 (May 1999). Consulté sur International Horn Society. hornsociety.org

[2] A. Mason Clarke, Uber, Alexander. In: A biographical dictionary of fiddlers, including performers on the violoncello and double bass, W. Reeves, London 1895

Il s’installe alors sur les terres de Carolath, en Silésie, où il dirige la chapelle princière. Malheureusement, sa carrière se serait brutalement interrompue à sa mort en juin 1824, à Carolath, à l’âge de 41 ans. Toutefois, cette information est peut-être erronée puisqu’il existe une lettre d’Alexandre Uber à B. Schott’s Söhne datée du 23 février 1826 conservée à la Staatsbibliothek de Berlin[1].


[1] Voir l’archive : https://schottarchiv-digital.de/viewer?manifest=https://content.staatsbibliothek-berlin.de/dc/PPN1030441049/manifest

Œuvres et contributions musicales

Alexandre Uber fut également un compositeur renommé de son temps. Il a notamment écrit un Concerto pour violoncelle en sol majeur, op. 12, qu’il dédicaça à son ami Carl Maria von Weber, des Variations pour violoncelle avec orchestre, des Ouvertures pour orchestre, divers Lieder (mélodies pour voix et piano) et plusieurs pièces de musique de chambre. Parmi ses œuvres figurent un Septuor original (pour clarinette, cor, violon, deux altos et deux violoncelles)[1], Six caprices pour violoncelle, op. 10 et ses Seize variations sur un air allemand pour violoncelle[2]. Il a aussi arrangé ou transcrit quelques œuvres d’autres compositeurs, tels que des pièces de Mozart et de Beethoven pour piano ou ensemble, dont témoignent des éditions et une correspondance avec Schott Music. Les archives de cette emblématique maison d’édition comportent sept lettres d’Alexandre Uber, aujourd’hui conservées à la  Staatsbibliothek de Berlin, rédigées entre 1812 et 1826, qui concernent la publication de ses œuvres[3] – preuve de son succès.

Ses compositions les plus réputées furent celles destinées à son instrument de prédilection, le violoncelle. D’une manière générale, Uber s’inscrit dans la génération des musiciens allemands du début du XIXe siècle qui, à la suite de la tradition de Bernhard Romberg et d’autres virtuoses, ont contribué à l’essor du violoncelle en tant qu’instrument soliste en Europe centrale[4].


[1] A. Mason Clarke, Uber, Alexander. In: A biographical dictionary of fiddlers, including performers on the violoncello and double bass, W. Reeves, London 1895

[2] Wilhelm Joseph von Wasielewski, The Violoncello and Its History. Traduit par Isobella S. E. Stigand. Londres ; New York : Novello and Company ; Novello, Ewer and Co., 1894

[3] Voir Schott Archives : https://schottarchiv-digital.de/search?Q=alexandre+uber&search-mode=and&per-page=10&offset=10&facets=%5B%7B%22field%22%3A%22beteiligte_von_facet%22%2C%22value%22%3A%22Uber%2C+Alexander+%281783-1824%29%22%7D%5D&filters=%7B%7D

[4] Wilhelm Joseph von Wasielewski, The Violoncello and Its History. Traduit par Isobella S. E. Stigand. Londres ; New York : Novello and Company ; Novello, Ewer and Co., 1894


Lettre d'Aelxandre Uber à B. Schott Söhne , 1812 - Schott archiv - Staatsbibliothek zu Berlin

Fait plus surprenant, Uber s’intéressa aussi à la flûte. Il publia à Mayence plusieurs recueils de thèmes variés, conçus tantôt pour flûte seule, tantôt avec accompagnement de cordes, parfois même avec guitare ou piano[1]. Cette souplesse correspondait aux pratiques de salon et contribua à sa renommée, comme en attestent les dédicaces de ses partitions. Outre à Weber, on conserve une dédicace au comte Max d’Hazfeld, chanoine capitulaire de la cathédrale de Ratisbonne et intendant de la musique de la cour de S.A. le Prince Primat, sur un manuscrit de variations (op. 15)[2].

Ainsi, par ses œuvres et leurs destinataires, Alexandre Uber apparaît comme un musicien ancré dans les hautes sphères de l’époque.


[1] Voir https://opac.rism.info/rism/Search/Results?lookfor=alexandre%20uber&searchCategories%5B0%5D=-1&q=alexandre%20uber&View=rism&Language=en et Tom Moore, The Themes Variés pour Flûte Seule, œuvre 40-41 of A. Uber. https://www.academia.edu/15853396/The_Themes_Vari%C3%A9s_pour_Flute_Seule_oeuvre_40_41_of_A_Uber

[2] https://opac.rism.info/id/rismid/rism1001191486?sid=83844008

Les grands musiciens clients de Tourte

L’archet d’Alexandre Uber fait partie des rares instruments de François-Xavier Tourte dont on connaît le propriétaire d’origine. En effet, les archives et témoignages conservés permettent de dresser un mince inventaire des musiciens contemporains à François-Xavier Tourte qui utilisèrent de source sûre l’un de ses archets.

Parmi eux, il faut bien évidemment citer Viotti qui, dès son arrivée à Paris en 1782, collabora avec Nicolas-Léonard et François-Xavier Tourte. Ses élèves et disciples Pierre Rode, Pierre Baillot et Rodolphe Kreutzer, piliers de l’école française du violon et co-auteurs de la Méthode officielle du Conservatoire, adoptèrent rapidement le nouvel archet.

Côté violoncelle, Jean-Louis Duport, collaborateur de Viotti et de Beethoven, utilisa des archets Tourte dès son installation à Berlin. La célèbre peinture de Rémi-Fursy Descarsin permet de constater qu’il jouait avec un archet à hausse ouverte en 1788. Son cadet Bernhard Romberg, virtuose adulé, acquit au moins deux archets directement à Paris, certainement vers 1815-1820, aujourd’hui connus comme les “ex-Romberg”[1]. Romberg diffusa ce modèle à Berlin, puis dans toute l’Europe, au moment même où Uber était actif.

[1] https://tarisio.com/cozio-archive/cozio-carteggio/the-ex-romberg-tourte-cello-bows/

En Allemagne, Johann Friedrich Eck, figure de l’école de Mannheim, puis son frère Franz, introduisirent l’archet Tourte auprès de Louis Spohr, qui en acheta un dès 1802 et devint l’un des plus fervents défenseurs.

Dès 1816, le violoncelliste et essayiste allemand Dr J.C. Nicolai écrivait, dans son article “Das Spiel auf dem Contrabass” que “tous les musiciens chevronnés” reconnaissaient la supériorité de l’archet de Paris, citant alors Rode, Spohr et Romberg[1]. Pour lui, il était devenu presque impossible de jouer les nouvelles compositions sans utiliser ces archets.

La découverte de cet archet ayant appartenu dès l’origine à Alexandre Uber vient donc ajouter un nom à cette liste d’une dizaine de musiciens connus.


[1] Walden, Valerie. « Mr. Tourte, I Need a Bow! How the Tourte Design Became the Model for the Modern Bow », Strings Magazine, vol. 31, no. 2, mars-avril 2021, voir https://stringsmagazine.com/mr-tourete-i-need-a-bow-how-the-tourte-design-became-the-model-for-the-modern-bow/#:~:text=from%20a%20politically%20dysfunctional%20government%2C,Russia%20to%20the%20French%20bow

Un microcosme : les interconnexions entre ces musiciens et Alexandre Uber

La diffusion de l’archet Tourte vers l’espace germanique fut particulièrement assurée par Franz Eck et son élève Louis Spohr, ainsi que par Bernhard Romberg et Jean-Louis Duport[1]. Franz Eck exigea en 1803 que Spohr s’équipe d’un archet de Tourte, et celui-ci écrivit ensuite dans sa Violinschule que les archets de Tourte sont “les meilleurs et les plus recherchés”. Le phénomène s’accéléra encore avec les déplacements des musiciens lors des guerres napoléoniennes, qui disséminèrent les pratiques et les instruments.

La découverte de cet archet de Tourte ayant appartenu à Alexandre Uber est, dans cette optique, d’autant plus intéressante, puisqu’elle offre un nouvel exemple de la diffusion de l’archet de Tourte en Prusse et Silésie par ce réseau étroit de musiciens.

La découverte de cet archet de Tourte ayant appartenu à Alexandre Uber est, dans cette optique, d’autant plus intéressante, puisqu’elle offre un nouvel exemple de la diffusion de l’archet de Tourte en Prusse et Silésie par ce réseau étroit de musiciens.

En effet, de nombreuses interconnexions existent entre les musiciens précédemment cités et Alexandre Uber. La proximité géographique et le répertoire commun de ces musiciens permettent de mieux situer Alexandre Uber dans ce réseau. Comme nous l’avons déjà mentionné, Uber a notamment vécu à Breslau et Carolath. Le cas de Kreutzer est particulièrement intéressant pour notre propos, puisque sa famille était originaire de Breslau comme celle d’Uber, et qu’il joua un rôle central dans la diffusion du modèle.


[1] Andrew Dipper, Rostropovich’s ‘Duport’ Strad Was the Beneficiary of New Ideas, Clients, and Materials, Strings Magazine

“À Breslau, depuis toujours l’une des villes les plus musicales d’Allemagne, il y avait à cette époque une telle succession de concerts qu’il y en avait presque tous les jours de la semaine.[…] Mais dans une ville aussi musicale que Breslau, même en cette période de troubles guerriers, les amateurs de musique passionnés, pour qui la musique était une nécessité vitale, ne manquaient pas. J’étais donc fréquemment invité dans des cercles privés, où j’avais l’occasion d’interpréter mes compositions viennoises issues du portfolio de Herr von Tost.”[1]

En outre, Louis Spohr, l’un des autres grands défenseurs de l’archet Tourte, se produisit également à Breslau et Carolath en 1809 et 1815[2]. Dans ses mémoires, il nous apprend que la ville était le théâtre de réunions des grands virtuoses et amateurs de l’époque et il est fort probable qu’il y ait rencontré Alexandre Uber.

Enfin, Bernhard Romberg passa également à Breslau, comme en témoigne une partition annotée et signée “Breslau 1er mars 1816, Bernhard Romberg”.

[2] Louis Spohr,. Louis Spohr’s Autobiography. Traduit de l’allemand. Londres : Longman, Green, Longman, Roberts, & Green; Cassell ; George H. Wigand, Göttingen, 1865.

Alexandre Uber et Bernhard Romberg

Le cas de Bernhard Romberg est très intéressant, car tout porte à croire qu’Alexandre Uber le connaissait.

Les critiques de l’Allgemeine musikalische Zeitung témoignent en tout cas de sa grande connaissance du répertoire de Romberg. En janvier 1817, il se produit à Leipzig avec le Concerto en ré majeur de Romberg, recevant l’approbation enthousiaste du public et de la presse. En 1819, le même journal loua son interprétation de plusieurs pièces de Romberg, et insista particulièrement sur l’excellent son de son archet. Cela a le mérite d’être relevé car il s’agit certainement de l’archet dont il est question dans cet article, puisque celui-ci date précisément de vers 1815-1820.

Notons également que l’on connait une lettre d’Alexandre Uber conservée aujourd’hui à la Universitätsbibliothek de Leipzig, qui accompagne un envoi à son correspondant – un musicien de la cour de Prusse – de son propre concerto en sol mineur et du Rondo en el gusto español de Romberg, que ce dernier vient de composer et qu’Alexandre Uber a déjà en possession[1].

Cette lettre présente également l’intérêt de mentionner le directeur de l’époque d’Uber, à savoir Reichardt. Il s’agit certainement de Johann Friedrich Reichardt, alors directeur du théâtre de Cassel, nommé par Jérôme Bonaparte.

Cet élément est pertinent car il vient renforcer l’hypothèse selon laquelle Alexandre Uber aurait travaillé à la cour de Jérôme Bonaparte – comme le laisse supposer la note “Alexandre Uber, Maître de chapelle du roi de Westphalie [Jérôme Bonaparte]” présente sur la partition conservée à la Staatsbibliothek de Berlin[2] (voir plus haut).


[1] Alexandre Uber, Zwey Lieder für eine Singstimme mit Clavierbegleitung (manuscrit autographe, Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin, Mus.ms.autogr. Uber, A. 2 M, ca 1800-1824 ; provenance : Alexander Uber – Aloys Fuchs – Friedrich August Grasnick – Königliche Bibliothek Berlin) https://opac.rism.info/id/rismid/rism1001018907


[2] https://kalliope-verbund.info/DE-611-HS-3001591

“M. Uber a joué avec assurance et habileté dans les passages, avec une dextérité exceptionnelle. Dans les mouvements Adagio et cantabile, son interprétation a touché le cœur, preuve de l’excellence de sa méthode. Il a également joué un Adagio et des variations sur deux chansons russes de Romberg, où, en plus de ce qui a déjà été dit, on a pu s’émerveiller de son utilisation puissante et variée de l’archet.”[1]


[1] Allgemeine musikalische Zeitung, Leipzig, n°21, 3 février 1819

Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, par François Gérard - 1811.
Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, par François Gérard – 1811.

Alexandre Uber et la France

Ce dernier point nous permet de faire le lien avec la France. Si Uber fut le maître de chapelle de Jérôme Bonaparte, il était alors au cœur d’une cour directement liée à la France. Or, Jérôme, frère de Napoléon, multipliait les voyages diplomatiques et les séjours à Paris, parfois avec sa cour, d’où il pouvait rapporter des objets de prestige.

Uber, en tant que maître de chapelle, aurait pu bénéficier d’un tel canal pour recevoir un archet de Tourte.

De sources sûres, la famille Uber était francophile. Le frère d’Alexander, Friedrich Christian Hermann Uber, fut Kapellmeister de l’opéra de Cassel sous Jérôme Bonaparte. En outre, il composa plusieurs œuvres en langue française, comme Les marins, attestant de la familiarité de la famille Uber avec la culture francophone. Cette proximité de la famille avec la France pourrait justifier l’éventuelle commande d’un archet directement auprès de François-Xavier Tourte, à Paris.

Côté éditions, on peut également noter que certaines pièces d’Uber ont été éditées à Paris, chez Richault, ce qui pourrait laisser penser que la compositeur a séjourné à Paris. Rappelons enfin qu’en 1823, Alexander Uber est nommé Kapellmeister de Heinrich Karl Wilhelm IV, prince de Carolath‑Beuthen et porteur du titre de Reichsgraf von Schönaich.

Or, ce dernier réalisait des voyages diplomatiques, notamment à Paris.

À la lumière de toutes ces observations, deux hypothèses se dessinent pour expliquer comment Alexandre Uber s’est procuré cet archet de François-Xavier Tourte. La première consiste en une commande directe à Paris, où Tourte est établi quai de l’Ecole depuis 1806. Cette hypothèse est très plausible compte tenu des échanges d’Uber avec la France, de part sa famille et son activité. La deuxième hypothèse supposerait un intermédiaire. Il pourrait s’agir d’un musicien ayant déjà un instrument de Tourte. L’exemple de Spohr, conduit par Franz Eck à acheter un Tourte dès 1803, puis devenu promoteur du nouvel instrument, montre à quel point le modèle circulait aussi hors de Paris. L’intermédiaire pourrait également être l’un des princes pour lesquels Alexandre Uber a travaillé. En effet, la nomination d’Uber comme Kapellmeister au service de différentes personnalités majeures de l’époque suppose des budgets d’apparat et des achats “de maison”. Les élites maintenaient des liens diplomatiques et mondains avec Paris et, dans ce cadre, l’hypothèse d’un archet d’exception acquis pour le maître de chapelle n’est pas invraisemblable.

LE REGARD DES EXPERTS SYLVAIN BIGOT ET YANNICK LE CANU

Cet archet de violoncelle de François Xavier Tourte, réalisé vers 1815-20, est un modèle à tête dite “violon” en raison de ses proportions.

Il présente une baguette octogonale, une plaque de tête en argent et la hausse en ébène à oeil Parisien, très appréciées de l’auteur à cette époque, qui marque le début de sa période d’or.

Détails mortaise goupilles

Cinq goupilles fixent la plaque de tête : deux sous la mortaise, deux au-dessus et une dans le bec. L’ébène est plus mince sur le plat que sur le bec.

Les goupilles, de faible diamètre, ne sont pas toujours parfaitement rondes et présentent parfois des facettes dues à leur conception.

Mortaise de tête

La mortaise de tête présente une richesse de détails caractéristiques, dans la continuité de celles des archets classiques. Elle n’est pas trapézoïdale mais droite, avec deux angles bien marqués.

L’intérieur est fortement incliné vers l’avant et creusé à l’arrière ; le fond, loin d’être plat, dessine une forme ondulée.

Détails de la tête

On retrouve presque systématiquement sur les têtes une particularité : la ligne du devant (photo 1) n’est pas rectiligne, mais décrit une courbe s’inclinant vers la gauche, parfois accentuée au niveau du bec. De part et d’autre de cette ligne apparaissent souvent des traces, soit de coups de canif, soit de polissage (voir photo des rayures de polissage).

Ce qui contraste avec les pratiques des autres archetiers de la même époque et disparaît complètement avec l’arrivée de l’école de François Nicolas VOIRIN. Le dessous de tête et les chanfreins présentent des traces résiduelles du canif, parfois associées à l’emploi du racloir ou du ratissoir. Ces stries fines suivent l’orientation de la coupe.

Type de gravure

Le style des lettres est en capitales simples, avec empattements légers (surtout sur le “K”), il est très courant au début du XIXe siècle avec l’absence d’ornement très travaillés, comme nous les retrouvons plutôt à partir du milieu du XIXe siècle. Cela confirme la datation de la gravure qui correspond bien à l’époque 1800-1830

Détails du passant

Il emploie des plaques de métal épaisses sur tout l’archet, probablement pour garantir la solidité de l’ensemble. Pour les passants, le métal est aminci par l’extérieur, de manière à ce qu’à largeur égale de hausse, la mèche soit la plus fournie possible. L’arrière du passant, en contact avec l’ébène de la hausse, est chanfreiné pour faciliter l’ajustage.

Réalisé au canif, ce chanfrein assez marqué se retrouve aussi bien sur la partie arrondie que sur la partie plate. Le passant est également adouci à l’avant par un arrondi, afin d’éviter toute arête vive susceptible d’endommager les cordes en boyau, alors particulièrement fragiles.

Détails de hausse

L’œil parisien, ou grain cerclé, est un motif qui se répand progressivement. Au sein de la famille Tourte, François Xavier est le premier à l’adopter, ce qui laisse penser qu’il en est probablement l’initiateur à Paris. Sa réalisation nécessite des outils plus rudimentaires que chez d’autres archetiers ( perce simple), ce qui confirmerait sa précocité : cercle métallique épais, soudure caractéristique par sa largeur. L’absence de perce à cercle l’amène à rapporter de l’ébène et à travailler celui-ci en bois de bout pour en faciliter la découpe. Les photographies montrent clairement une similitude de découpe entre l’arrière du bouton et l’œil parisien.

Pour ajuster le passant sur la hausse, le bec était d’abord ébauché au canif, puis le rond était achevé à la lime, comme en témoignent les traces encore bien visibles sur la photo de gauche. On retrouve cette manière de faire également chez Dominique Peccatte, ainsi que chez certains archets de Pierre Simon et de Joseph Henry. Sur la photo de droite, le canal de crin apparaît plus large que les rives de recouvrement, ce qui correspond à la logique de l’époque : dans la transition entre les hausses classiques et modernes, la faible profondeur du canal nécessitait un élargissement afin d’accueillir le crin sans exercer de contrainte excessive sur le recouvrement, chez François Xavier, ce détail est beaucoup plus marqué que chez ses contemporains.

Détails du talon rond et du recouvrement

Comme pour les autres éléments métalliques, le grand talon est épais. Son ajustement avec le recouvrement n’est pas réalisé à 90°, mais à 45° (voir photos de gauche et du milieu). Le biseau ainsi créé se retrouve donc également sur la nacre et l’ébène du recouvrement (photos en haut à droite).

À l’examen attentif du talon dans le virage, on distingue de petits triangles en ébène : il s’agit des sorties de la saignée intérieure, rebouchées par l’artisan. Ce détail n’est évidemment pas une erreur, puisqu’on le retrouve sur l’ensemble des modèles à talons ronds.

Détails du bouton

Les soudures métalliques sont larges, signe que le métal a probablement été fortement martelé, à la fois pour arrondir la virole au diamètre voulu et pour en augmenter la dureté. La seconde gorge du bouton est soigneusement limée et rarement conservée dans son intégralité. Un léger creux à l’avant de la virole du bouton était probablement destiné à améliorer l’esthétique de son ajustage sur la baguette.

Sur la photo en bas à droite, on distingue une ligne courbe, vestige du chanfrein intérieur de la virole, destinée à faciliter et parfaire le joint entre l’ébène et l’argent. L’extrémité de la vis ne présente aucun coup de martelage, seulement de petits coups de lime à titre de finition. La vis est vissée dans le bouton et non emboutie : le pas de vis est clairement visible, avec des traces en losange de l’outil ayant servi à la maintenir lors de l’insertion. Le filetage de la vis est fin, roulé et non taillé.

Rayons X

Voici quelques détails importants examinés aux rayons X. Comme pour la mortaise de tête, on observe dans la mortaise de pan les vagues laissées par le travail au ciseau à bois.

Il convient de noter qu’aucune anomalie particulière n’a été relevée : ni corps étranger, ni modification susceptible d’altérer l’authenticité ou l’intégrité de l’archet.


CELLO BOW BY FRANÇOIS-XAVIER TOURTE

This discovery enriches the very limited corpus of bows by François-Xavier Tourte whose first owner has been identified, while shedding new light on how the Parisian model spread to Germany. Karl Alexander Benjamin Uber was part of the France, Silesia and Prussia network that brought Tourte’s bow to the German-speaking world. The places he frequented – Breslau, Cassel and Carolath – were also home to Rodolphe Kreutzer, Bernhard Romberg and Louis Spohr, all of whom are known to have used Tourte bows. His proximity to these great musicians, as well as to the princely elites who maintained diplomatic and artistic relations with the French capital, placed him at the heart of a Franco-Prussian axis, making it plausible that he had direct access to the bows of François-Xavier Tourte.


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