Vichy Enchères

Une spectaculaire vielle d’Ouvrard préemptée par le Musée de la musique de la Philharmonie de Paris

Le samedi 7 novembre 2020, Vichy Enchères présentait à la vente une exceptionnelle vielle à roue d’Ouvrard. Véritable chef-d’oeuvre du luthier, l’instrument a été préempté pour 19.468 euros (frais compris) par le Musée de la musique de la Philharmonie de Paris. 


Une pièce de collection 

Musée de la musique de la Philharmonie de Paris
Musée de la musique de la Philharmonie de Paris

Cette nouvelle acquisition ne saurait que réjouir les défenseurs du patrimoine et les amoureux des instruments de musique. Elle parachève également, tout en beauté, l’histoire de cette remarquable vielle. Longtemps tenue cachée et fraîchement redécouverte au sein de Vichy Enchères, elle sera désormais présentée à tous et protégée des outrages du temps. Le musée, dont la recherche est l’une des principales missions, nous en apprendra peut-être davantage sur cette pièce unique dans la production d’un luthier aussi mystérieux que talentueux…

Le mystère Ouvrard

Qui s’intéresse à la lutherie parisienne du XVIIIème siècle sait qu’il est courant de répartir en trois groupes un grand nombre des luthiers de l’époque (1). On parle ainsi des groupes de Bocquay, de Guersan et de Salomon. Ces groupes étaient largement cimentés par des alliances familiales et c’est à celui de Salomon qu’on associe habituellement Jean Ouvrard. Contemporain de Salomon, il fut en réalité le premier mari de la seconde épouse de celui-ci. Sur Jean Ouvrard, peu de documents nous sont parvenus. On sait pourtant qu’il mena une existence aisée et que son atelier vit passer d’autres figures de la lutherie parisienne, telles que François Feury, dont il fut le maître.

Il disparaît “discrètement” le 4 janvier 1748. Quand est-il né ? Les archives ne le disent pas.

Personnalité originale ? Sans doute, puisque ce fils de charpentier d’un village du bas Poitou, monté à Paris et établi comme luthier dès 1720, fut également valet de chambre chez le marquis de Savonière – où il semble fort apprécié – puis Maître juré comptable de 1742 à 1743. C’est en 1735 qu’on trouve réellement mention de son activité de marchand luthier, “Place de l’Ecole, paroisse St-Germain l’Auxerrois”.

Participant au mystère, ses instruments nous sont peu connus. On compte des dessus de viole, trois quintons ornés d’une tête de femme, dont l’un daté de 1744, conservé au musée de Bâle, et deux autres, de 1745, aux musées de Bruxelles et de New York. Enfin, un certain nombre de violons et d’altos plus classiques sont en circulation. Qu’en est-il de ses vielles ?

1 – Sylvette Milliot, Documents inédits sur les luthiers parisiens du XVIIIe siècle, Paris, Société française de musicologie, 1970

La rareté de ses vielles

Les vielles marquées “OUVRARD” sont assez rares. Quelques-unes, de belle facture mais essentiellement de modèles classiques, se retrouvent parfois lors de ventes aux enchères ou chez les antiquaires. Or, Ouvrard était doué d’un réel savoir-faire et capable de concevoir des oeuvres extraordinaires, en atteste un modèle à tête sculptée de femme estampillé “OUVRARD”, conservé au musée des instruments de l’Université d’Édimbourg. Son raffinement en fait quasiment un unicum puisque mis à part cet exemplaire, il est difficile de trouver un instrument de cet auteur de qualité comparable.

Ses vielles étant rares sur le marché, celles d’exception le sont davantage. Autant d’arguments qui expliquent aujourd’hui l’effervescence autour de l’apparition d’une admirable vielle à roue marquée “OUVRARD”, inconnue jusqu’à ce jour, rivalisant avec celle du musée de l’Université d’Édimbourg. Plus que marquée, elle est également signée “Ouvrard à Paris” et datée probablement de “1747”. Expertisée par Philippe Krümm, c’est à Vichy Enchères que sa découverte a eu lieu.

L’instrument incontournable de la noblesse au XVIIIème siècle

Comme nous le rappelle Philippe Krümm, expert en instruments de musique populaire, la vielle à roue fait fureur au XVIIIème siècle. Sous le règne de Louis XV, l’instrument connaît un essor alors qu’il était jusque-là pratiqué principalement par les villageois. Ce changement de statut résulte, d’une part, de la volonté des aristocrates d’imiter les pratiques sociales de la famille royale et notamment de la reine. Or, selon le duc de Luynes et bien d’autres témoignages, Marie Leszczynska jouait régulièrement de la vielle après le souper (1). Par conséquent, il n’est pas étonnant que l’instrument soit majoritairement joué pour des femmes. Mais plus qu’un instrument de musique, l’objet devint un véritable faire-valoir et un grand nombre de dames de Cour se font portraiturer avec.    

D’autre part et parallèlement à ce phénomène, des virtuoses démontrent les qualités techniques de l’instrument. Ils en transforment le jeu et l’interprétation. On compose des oeuvres pour la vielle. Ces virtuoses, tels que Chédeville ou Dangui, acquièrent une considérable renommée et assurent ainsi la diffusion du goût pour l’instrument. Selon d’Aquin, « la vielle sera à la mode tant qu’elle pourra se flatter d’avoir des Dangui : elle est admirable sous ses doigts »(2). Dès lors, ce nouveau goût s’est accompagné d’un accroissement des commandes auprès des luthiers spécialisés dans le domaine, parmi lesquels Georges Louvet, Jean-Nicolas Lambert, ou encore François Feury. La vielle d’Ouvrard de 1747 confirme la ferveur de l’époque.

1 – DUFOURCQ, Norbert, La musique à la cour de Louis XIV et de Louis XV d’après les mémoires de Sourches et de Luynes (1681-1758), Paris, Picard, 1970, p.98.
2 – Cité par MAILLARD, 1996, op. cit., p.20. Source : article en ligne

Des secrets de fabrication

Les vielles produites par Ouvrard, puis celles de ses successeurs, ouvrent tout un champ d’interrogations. La question la plus souvent posée concerne les relations entre luthiers. Le nombre de demandes allant croissant, les luthiers coopéraient-ils pour en assurer la fabrication ? Avaient-ils des relations commerciales ? S’échangeaient-ils des pièces, telles que des caisses ou des têtes sculptées ? Le cas d’Ouvrard invite à la réflexion. En effet, les deux vielles spectaculaires que sont celle d’Édimbourg et celle de Vichy Enchères ont été réalisées à partir d’éléments d’instruments quelque peu délaissés à cette époque.

Ainsi, le corps de celle d’Édimbourg provient probablement d’une guitare réalisée par un membre de la famille Voboam, qui à mesure que les styles de guitare changeaient n’était plus utilisée. Concernant la vielle de Vichy Enchères, la caisse provient vraisemblablement d’un luth, instrument progressivement mis de côté à cette période. Ces réemplois pourraient aussi répondre à une volonté d’amélioration technique de l’instrument. Monter des mécanismes de vielle sur des corps de guitare ou de luth leur donnerait une meilleure qualité sonore. 

Une découverte exceptionnelle

On l’aura compris, bien que peu de documents nous soient parvenus sur Ouvrard, il s’inscrit comme une figure à part entière de la lutherie parisienne du XVIIIème siècle. Parmi ses rares vielles connues, celle de la vente de Vichy Enchères se distingue par son raffinement poussé à l’extrême. Inconnue jusque-là, elle s’inscrit d’emblée comme l’une des plus belles réalisations d’Ouvrard. La marque, ainsi que la signature à l’intérieur – au niveau de la languette au centre de la caisse – révélée lors d’un examen par endoscopie, ne font que confirmer le caractère exceptionnel de cette vielle. La date inscrite, que l’on devine de 1747, coïncide avec la dernière année de la vie du luthier, au moment où il était au sommet de son art.

Sa tête sculptée d’un splendide visage de Maure couronné, en ébène incrusté, est d’une finesse inouïe, comparable à celle du musée des instruments de l’Université d’Édimbourg. Par souci esthétique et recherche de perfection, Ouvrard s’est appliqué à peaufiner les moindres détails, à l’image de la spectaculaire marqueterie en chevrons d’ébène et d’ivoire qui recouvre la caisse de l’ancien luth. Nul doute que cet instrument fut destiné à un important commanditaire, à l’instar d’une dame de Cour ou d’un illustre musicien…

Une vielle yéyé…

Bien que peu de choses nous soient connues sur sa provenance, quelques archives nous renseignent sur l’une des figures qui a croisé sa route : Annie Chancel, plus connue sous le nom de Sheila !
Et oui, lors d’un voyage en Auvergne, l’incontournable icône yéyé fut photographiée avec le splendide modèle d’Ouvrard entre les mains (Âge Tendre, n°11, novembre 1963) ! La raison en reste mystérieuse… Quand nous vous disions que cet instrument était extraordinaire !

Sheila © Âge Tendre, numéro 11, novembre 1963
Sheila © Âge Tendre, numéro 11, novembre 1963

AN EXCEPTIONAL HURDY-GURDY BY OUVRARD PRE-EMPTED BY THE MUSEE DE LA PHILHARMONIE IN PARIS

On Saturday 7 November 2020, Vichy Enchères sold at auction an exceptional hurdy-gurdy by Ouvrard. This true masterpiece was pre-empted for 19,468 euros (including fees) by the Musee de la Philharmonie in Paris. 


A museum piece 

Musée de la musique de la Philharmonie de Paris
Musée de la musique de la Philharmonie de Paris

This new acquisition will delight those who advocate for the conservation of our national heritage and lovers of musical instruments alike. It also provides a beautiful ending to the story of this remarkable hurdy-gurdy. It had long been kept out of sight and was rediscovered at Vichy Enchères; it will now be displayed to all and protected from the ravages of time. The museum which acquired it puts research at the heart of its mission, and so it will perhaps shed more light on this unique piece in the output of a maker as mysterious as he was talented.

The Ouvrard mystery

Anyone interested in 18th century Parisian lutherie knows that it is customary to divide the large number of makers of the time into three groups(1). These groups, those of Bocquay, Guersan and Salomon, were in large part determined by family connections. It is with the Salomon group that Jean Ouvrard is usually associated. He was a contemporary of Salomon, and in fact was the first husband of his second wife. Few historical documents relating to Jean Ouvrard remain. However, we know that he led a comfortable existence and that his workshop employed other figures of Parisian violin making, such as François Feury, one of his pupils.

The records don’t provide information about his date of birth. He disappeared “discreetly” on 4 January 1748.

He was an unusual character. This carpenter’s son, from a village in the lower Poitou, moved to Paris and established himself as a maker from 1720, but was also valet de chambre for the Marquis de Savonière – with whom he seems to have been very popular – and then a certified accountant to the courts from 1742 to 1743. It is only in 1735 that we find the first official mention of his activity as instrument maker, on “Place de l’Ecole, paroisse St-Germain l’Auxerrois”.

What adds to the mystery is that his instruments are little known to us. There are dessus de violes, three quintons decorated with a woman’s head, including one dated 1744, conserved in a museum in Basel, and two others, from 1745, in Brussels and New York museums. Finally, there are also a number of more classical violins and violas by him in circulation. What about his hurdy-gurdies?

1 – Sylvette Milliot, Documents inédits sur les luthiers parisiens du XVIIIe siècle, Paris, Société française de musicologie, 1970

The rarity of his hurdy-gurdies

Hurdy-gurdies stamped “OUVRARD” are quite rare. Beautifully crafted, but essentially traditional, models can appear from time to time at auction or in antique shops. However, Ouvrard was gifted with superior craftsmanship and capable of creating extraordinary works, as evidenced by an example with a carved woman’s head and stamped “OUVRARD”, kept at the Museum of Instruments of the University of Edinburgh. . Its degree of refinement makes it almost unique since, apart from this example, it is difficult to find an instrument of this maker equal in quality.

Hurdy-gurdies by this maker are rare on the market, and those of exceptional quality even more so. This explains the excitement around the discovery of this remarkable hurdy-gurdy stamped “OUVRARD”, which was unknown until now, and rivals with that of the museum of the University of Edinburgh. In addition to being stamped, it is also signed “Ouvrard à Paris” and dated with what appears to read “1747”. It was at Vichy Enchères that this discovery was made, when it was appraised by Philippe Krümm.

The essential instrument of the nobility in the 18th century

As Philippe Krümm, an expert in folk music instruments, reminds us, the hurdy-gurdy was very popular in the 18th century. While, until then, it had mostly been an instrument played in rural towns, under the reign of Louis XV, the instrument underwent a change in status. This was the result, on the one hand, of the desire of aristocrats to mimic the social practices of the royal family, and in particular of the queen. Indeed, according to the Duc de Luynes and many other testimonies, Marie Leszczynska regularly played the hurdy-gurdy after supper (1). It is therefore not surprising that the instrument was mainly played by women at the time. More than a musical instrument, it became an object of social standing, as evidenced by the large number of Court ladies who were portrayed with it.    

On the other hand, and in parallel with this phenomenon, virtuosos demonstrated the technical potential of the instrument. They transformed the way in which it was played and its repertoire. Works were composed for the hurdy-gurdy. These virtuosos, such as Chédeville or Dangui, became very famous and helped promote the taste for the instrument. According to d’Aquin, « the hurdy-gurdy will be fashionable as long as it can flatter itself to be favoured by the likes of Dangui: it is admirable under his fingers »(2). This new interest for the instrument resulted in an increase in orders from makers specializing in their production, including Georges Louvet, Jean-Nicolas Lambert and François Feury. The hurdy-gurdy by Ouvrard of 1747 confirms the enthusiasm for the instrument at the time.

1 – DUFOURCQ, Norbert, La musique à la cour de Louis XIV et de Louis XV d’après les mémoires de Sourches et de Luynes (1681-1758), Paris, Picard, 1970, p.98.
2 – Cité par MAILLARD, 1996, op. cit., p.20. Source : article en ligne

Manufacturing secrets

The hurdy-gurdies made by Ouvrard, and by those of his successors, raise a number of questions. The most frequently asked relates to the relationship between the various makers. As the number of orders increased, did makers collaborate to meet the demand? Did they have business relationships? Did they manufacture parts for each other, such as bodies or carved heads? The case of Ouvrard invites to ponder on these questions. Indeed, the two exceptional hurdy-gurdies, that of Edinburgh and that of Vichy Enchères, were made using parts of instruments that, to an extent, had fallen into disuse at that time.

Indeed, the body of the Edinburgh example probably comes from a guitar made by a member of the Voboam family, whose style was no longer in keeping with the changing tastes of the time. Moreover, the body of the Vichy Enchères hurdy-gurdy probably comes from a lute, an instrument that was gradually set aside during this period. This upcycling could also be explained by a desire to improve the instrument technically: fitting hurdy-gurdy mechanisms on guitar or lute bodies would give them better sound quality.

An exceptional discovery

Although few historical documents have come down to us on Ouvrard, he is clearly an important figure in Parisian violin making in the 18th century. Amongst the very few known hurdy-gurdies by him, the example in the Vichy Enchères sale stands out for its extreme refinement. Unknown until then, it was instantly accepted as one of Ouvrard’s finest creations. The stamp, as well as the signature on the inside – near the tab in the centre of the body – which was revealed during an endoscopy examination, are further evidence of the exceptional nature of this hurdy-gurdy. The date inscribed, which appears to be 1747, corresponds to the last year of the maker’s life, when he was at the peak of his art.

Its head is adorned with a splendid carved crowned Moorish face, in inlaid ebony, which is very refined and comparable to that of the Museum of Instruments at the University of Edinburgh. Ouvrard meticulously worked the most minute details in his strive for aesthetics and perfection, such as the spectacular ebony and ivory herringbone marquetry that covers the body of the former lute. There is no doubt that this instrument was intended for an important patron, such as a court lady or a famous musician.

A “Ye-Ye” hurdy-gurdy

Although little is known to us about its provenance, some historical documents tell us about one of the personalities who crossed her path: Annie Chancel, better known as Sheila!
Indeed, during a trip to Auvergne, the unmistakable Yé-Yé icon was photographed with the superb Ouvrard instrument in her hands (Âge Tendre, n°11, November 1963)! The reason for this remains mysterious… Didn’t we tell you that this instrument was extraordinary?

Sheila © Âge Tendre, numéro 11, novembre 1963
Sheila © Âge Tendre, numéro 11, novembre 1963

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