Vichy Enchères

Nicola Marchioni, dit Dom Nicola Amati : un prêtre-luthier dans la Bologne du XVIIIe siècle

À l’occasion des ventes d’instruments de prestige de Vichy Enchères, le 4 décembre 2025, un violon de Dom Nicola Amati sera présenté. Réalisé à Bologne vers 1730-1740, ce nouvel instrument fait ressurgir la figure énigmatique de ce luthier, longtemps confondu avec la célèbre famille Amati de Crémone. Grâce aux recherches menées par Sandro Pasqual et Roberto Regazzi, on sait aujourd’hui que sous ce nom se cache le prêtre bolonais Nicola Marchioni. La mise en lumière de cet instrument rare offre ainsi l’occasion de redécouvrir ce luthier mystérieux.

Nous remercions Roberto Regazzi pour les divers échanges ayant contribué à cet article. 


Éléments biographiques sur Nicola Marchioni

Nicola Marchioni est né en 1662, à Castelnuovo et Lizzano, sur l’Apennin bolonais. Fils de Giovanni Antonio et d’une mère prénommée Maria, il montre très jeune une vocation ecclésiastique. C’est ainsi qu’en 1687, son père lui constitue une dot – un appartement et plusieurs parcelles de terrains – lui permettant d’entrer dans les ordres, sans être à la charge de l’Eglise[1].
Désormais appelé Dom Nicola Marchioni, titre honorifique donné aux prêtres en Italie, dérivé du latin dominus – il fut ordonné prêtre à l’âge de 25 ans. Vers 1715, il s’établit définitivement à Bologne, dans la paroisse des Saints Côme-et-Damien. On ignore quand et comment il apprit la lutherie, mais Bologne était alors un centre important de luthiers et de nombreux artisans avaient reçu une formation religieuse.

Son frère Sebastiano, marié et père de famille, vivait lui aussi à Bologne. Les archives mises en lumière par Sandro Pasqual et Roberto Regazzi suggèrent que les deux frères exerçaient vraisemblablement une activité artisanale ensemble. En février 1732, un acte notarié mentionnait notamment leur deux noms, à l’occasion d’un prêt sollicité par la belle-sœur de Dom Nicola Amati, dont le montant revint au prêtre qui s’engagea à rembourser la somme et à en payer les intérêts “avec les revenus de sa vertueuse industrie”[2].

L’expression d’origine, “virtuosa sua industria”, se rencontre rarement dans les documents ecclésiastiques et doit être comprise comme la mention explicite d’une activité artisanale exercée par le prêtre. Cette archive constitue la preuve que Nicola Marchioni tirait des revenus d’un travail manuel, qu’il menait parallèlement à son ministère.
En tant que prêtre, Dom Nicola occupa plusieurs charges dans des paroisses voisines, telles que S. Andrea degli Ansaldi ou S. Maria de’ Foscherari, mais il demeura principalement domicilié dans la paroisse SS. Cosma e Damiano entre 1715 et 1730, puis de nouveau de 1744 à 1748, d’après les registres bolognais. Fait notable, ces périodes coïncident avec les dates inscrites sur les étiquettes de la plupart de ses instruments.

Notons enfin que le nom de famille Marchioni apparaît sous des formes variables dans les documents d’époque, orthographié parfois “Merchioni” ou “Melchioni”.


[1] Acte de cession de 1687 mise au jour par Sandro Pasqual. Ces informations biographiques proviennent de Pasqual S., Regazzi R., Le radici del successo della liuteria a Bologna, Firenze, Florenus Edizioni, 1998

[2] Acte notarié de 1732, archives de l’archidiocèse de Bologne, mise au jour par Sandro Pasqual

Une double vocation

Le cas de Nicola Marchioni, ayant deux activités, n’est pas isolé. Comme nous le rappelle Jonathan Marolle :

“Beaucoup de luthiers exerçaient des métiers supplémentaires pour pouvoir vivre correctement. On sait par exemple que Pietro Guarnerius de Mantoue était violoniste à la cour du Duc de Mantoue. Il avait un traitement annuel en tant que musicien et avait reçu le droit d’exercer le métier de luthier. À Venise, Francesco Gobetti, luthier magnifique, avait commencé comme cordonnier.”

Lors de plusieurs échanges avec Roberto Regazzi, celui-ci est revenu sur la genèse de la découverte de l’identité du prêtre caché sous le nom de Dom Nicola Amati.

“Dans les années 1990, je suis tombé sur un manuscrit conservé à Mantoue : une sorte de cahier de notes de Stefano Scarampella, daté de 1863, dans lequel celui-ci dresse, à un certain moment, la liste des luthiers les plus représentatifs, classés par ville. À la rubrique “Bologne”, un nom m’a frappé : Dom Nicola Merchioni, dit Amati, avec des dates parfaitement compatibles avec la période d’activité du Dom Nicola que nous connaissions.”

Entretien avec Roberto Regazzi, octobre 2025

Cette trouvaille, dont Roberto Regazzi nous a aimablement transmis la photographie, permit, grâce aux recherches complémentaires de Sandro Pasqual, de relier définitivement le nom de Dom Nicola Amati à celui de Marchioni – le premier étant un surnom professionnel adopté par le prêtre soucieux de discrétion, qui souhaitait vraisemblablement rendre hommage au luthier crémonais déjà très connu en Italie.

“L’étape décisive est survenue lorsque j’ai rencontré Sandro Pasqual, qui lui non plus n’avait rien trouvé en cherchant le nom Amati dans les nombreuses archives qu’il avait consultées pour sa thèse consacrée à la lutherie bolonaise. En lui communiquant cette piste, il a commencé à découvrir des preuves certaines de l’existence d’un prêtre portant ce nom, dans la paroisse et à l’époque en question. Malheureusement, aucun de ces documents ne le désignait explicitement comme luthier, si ce n’est peut-être un seul qui faisait mention d’une “activité vertueuse” non précisée. Cependant, le lien établi au XIXe siècle par Scarampella nous a paru constituer une indication suffisante pour établir le lien entre les deux”

Entretien avec Roberto Regazzi, octobre 2025


L’hypothèse crémonaise écartée

Cette découverte fut considérable, puisqu’elle mit fin à l’hypothèse selon laquelle un prêtre appartenant à la famille Amati de Crémone pouvait être à l’origine des instruments signés Dom Nicola Amati. En effet, la famille Amati comptait bien des prêtres parmi ses membres, dont un Niccolò Amati. C’est ce dont atteste notamment un acte notarié du 27 mai 1709, rédigé à Crémone par le notaire Giovanni Angelo Farina, mentionnant le “Molto reverendo padre Niccolò Amati, fratello del Molto reverendo Giovanni Battista e del signor Gerolamo Amati, figlio di Niccolò Amati[1]. Cependant, rien ne permet de penser qu’il ait jamais exercé la lutherie et, depuis la découverte du carnet de Scarampella, le doute est désormais levé, puisque celui-ci associe clairement le nom de “Nicolo Marchioni” au nom d’usage “dit Amati”. Scarampella avait pris soin d’écrire : “Dom Nicola Merchioni, detto Amati – 1787”. La date de 1787 étant problématique – le prêtre-luthier aurait eu 125 ans – Roberto Regazzi nous explique :

“Scarampella a peut-être commis des erreurs dans son écrit, comme celle d’avoir lu un 8 au lieu d’un 3, puisqu’il rapportait très certainement les dates de documents remontant aux artisans qu’il citait, probablement à partir de leurs étiquettes ou de certaines de leurs inscriptions ; mais il rapporte une indication très importante pour notre recherche historique : il mentionne pour la première fois un inconnu absolu, Merchioni, prêtre, en précisant qu’il était mieux connu sous un surnom : Amatis [sic]. Cette piste, après plus d’un siècle, s’est révélée éclairante pour le retrouver sous ce nom dans la paroisse indiquée sur les étiquettes de Dom Nicola Amati, à l’époque de la datation de ses instruments, alors qu’aucun Amati, au sens de nom de famille ordinaire, n’était présent là-bas.”

Archivio di Stato di Cremona, Notarile, 6560, n. 27. Nous remercions Daniela Mondoni, archiviste à l’AS-CR, pour nous avoir aimablement communiqué cet acte notarié.

Cette découverte fut déterminante, elle permit de restituer à Dom Nicola Amati sa véritable identité, celle du prêtre Nicola Marchioni, actif à Bologne durant la première moitié du XVIIIe siècle.

[1] Entretien avec Roberto Regazzi, octobre 2025

“Ces preuves suffisent à révéler avec une certitude suffisante la véritable identité du luthier qui, étant prêtre, estimait probablement plus opportun d’être connu sous un surnom plutôt que sous son vrai nom.”

Entretien avec Roberto Regazzi, octobre 2025

L’œuvre de Dom Nicola Amati

Les instruments de Dom Nicola Amati parvenus jusqu’à nous sont rares. Entre 20 et 30 modèles sont répertoriés et il s’agit essentiellement de violons. La production connue du luthier s’étend essentiellement de la fin des années 1710 au milieu des années 1740. Le plus ancien instrument daté de sa main a été réalisé en 1718, d’après les étiquettes connues, et correspond au moment où Marchioni semble commencer la lutherie, après la mort de Giovanni Tononi en 1715. Certains pensent qu’il aurait pu être formé par ce maître, ou du moins grandement influencé par la famille Tononi. Son travail s’inscrit effectivement dans la tradition bolonaise, bien que son style reste très personnel.

“On ignore auprès de qui Dom Nicola Amati s’est formé. Il est vraisemblablement autodidacte, ce qui peut expliquer des variations importantes d’un instrument à l’autre. En revanche, il y a tout de même une certaine constance dans son œuvre qui permet de reconnaître assez rapidement son travail. Il est très inscrit dans la tradition bolonaise.”

Entretien avec Jonathan Marolle, Vatelot-Rampal, Paris Luthier, spécialiste des instruments du quatuor à cordes. Expert près la Cour d’Appel de Paris, novembre 2025

Ses instruments sont conservés dans des collections privées et il est très rare de pouvoir les observer. La mise au jour de ce nouveau violon nous offre donc une chance exceptionnelle de voir et d’étudier l’un de ses instruments. Daté des années 1730-1740, il nous offre un bel exemple du savoir-faire du luthier :

“L’école de Bologne se caractérise par un modèle assez particulier, avec des détails que l’on retrouve d’un auteur à l’autre. Par exemple, le montage intérieur est très spécifique, avec de grosses contre-éclisses – un trait que l’on observe aussi chez les Tononi. Le travail des coins du filet, assez marqué, des voûtes, est caractéristique chez Dom Nicola Amati. Le fini de la tête, avec une virgule peu poussée, ainsi qu’un vernis jaune ambré – parfois brun assez foncé – sont également des éléments que l’on retrouve régulièrement chez cet auteur.”

Entretien avec Jonathan Marolle, Vatelot-Rampal, Paris Luthier, spécialiste des instruments du quatuor à cordes. Expert près la Cour d’Appel de Paris, novembre 2025

Provenances illustres

Plusieurs instruments de Dom Nicola Amati ont des provenances particulièrement prestigieuses, révélant la place singulière que ce luthier occupe dans l’histoire de la facture instrumentale. Un violon daté de 1730 appartint notamment au célèbre violoniste Yehudi Menuhin, qui l’utilisa parallèlement à ses instruments de Stradivari et de Guarneri. Ce choix, chez un musicien d’un tel rang, atteste la qualité sonore et la pérennité des instruments de Dom Nicola Amati, rivalisant ici avec ceux des plus grands maîtres crémonais.

Un autre violon, orné sur le fond des armoiries du comte palatin Esterházy – l’un des mécènes majeurs du XVIIIe siècle – passa au milieu du XXe siècle entre les mains du violoniste Henri Temianka, qui en fit usage dans sa carrière de concertiste.

Ces exemples, parmi les mieux documentés, laissent supposer que Dom Nicola Amati jouissait déjà, de son vivant, d’une certaine reconnaissance auprès des musiciens. La présence de ses instruments dans des collections et des mains aussi illustres au fil des siècles témoigne de la permanence de cette estime et de la notoriété que son œuvre a su conserver jusqu’à nos jours.

La mise en vente de ce violon de Dom Nicola Amati le 4 décembre 2025 à Vichy Enchères vient rappeler l’importance de Nicola Marchioni dans l’histoire de la lutherie bolognaise. Ce nouvel instrument enrichit le corpus restreint de ses œuvres connues et offre un témoignage précieux sur la production bolonaise au XVIIIe siècle.


NICOLA MARCHIONI, KNOWN AS DOM NICOLA AMATI: A PRIEST-LUTHIER IN 18th CENTURY BOLOGNA

On 4 December 2025, a violin by Dom Nicola Amati will be presented at Vichy Enchères’ prestigious instrument auction. Made in Bologna around 1730-1740, this new instrument brings to light the enigmatic figure of this luthier, long confused with the famous Amati family of Cremona. Thanks to research conducted by Sandro Pasqual and Roberto Regazzi, we now know that this name belongs to the Bolognese priest Nicola Marchioni. The spotlight on this rare instrument offers an opportunity to rediscover this mysterious luthier.


Translation coming soon…

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