La figure de Lorenzo Ventapane demeure paradoxale dans l’histoire de la lutherie italienne du tournant des XVIIIe et XIXe siècles. D’un côté, son nom apparaît régulièrement dans les ouvrages spécialisés comme celui d’un des plus importants luthiers napolitains en dehors de la dynastie Gagliano et ses instruments – ses violoncelles en particulier – sont décrits comme de premier ordre. D’un autre côté, son œuvre reste mal documentée et souffre de mauvaises attributions et de lacunes en collections muséales. La découverte d’un nouveau violoncelle de Lorenzo Ventapane, présenté lors de nos ventes d’instruments de prestige de décembre 2025, nous donne l’occasion de revenir sur le travail de ce luthier, et de donner un aperçu de sa production de violoncelles.

Lorenzo Ventapane est né en 1780 et mort en 1843. Il fut actif à Naples durant la première moitié du XIXe siècle. Il appartient à une dynastie de luthiers et est généralement considéré comme le neveu de Vincenzo Ventapane (1750-1799) – figure majeure de la génération précédente. Vincenzo Ventapane est généralement présenté comme ayant été l’élève d’Antonio et Raffaele Gagliano. Selon plusieurs sources, Lorenzo Ventapane aurait lui aussi été formé par un membre de la famille Gagliano – probablement Giovanni Gagliano (1751-1820) ou son fils Niccolò II Gagliano (1787-1866). Toutefois, cette hypothèse est remise en doute par plusieurs experts, dont Jonathan Marolle :
“Personnellement, j’ai peine à croire qu’il ait pu être élève d’un des Gagliano. Ses modèles sont assez éloignés de ceux qu’on peut trouver chez les différents membres de la famille.”
Entretien avec Jonathan Marolle, Vatelot-Rampal, Paris Luthier, spécialiste des instruments du quatuor à cordes. Expert près la Cour d’Appel de Paris, novembre 2025
Une chose est sûre, les luthiers de ces deux familles étaient en contact. En 2023, Vichy Enchères avait d’ailleurs vendu un intéressant violoncelle 1/2, portant une étiquette apocryphe de Gagliano, dont la table et la tête étaient probablement de Lorenzo Ventapane.
Vers 1800, Lorenzo Ventapane s’établit au 23 Calata Borgo di Loreto, à Naples, puis au n° 35 de la Strada Donnaregina[1]. Walter Hamma le décrit comme “un luthier napolitain à la personnalité franche et originale”[2], capable d’assimiler l’influence de la tradition tout en affirmant une facture propre. Il s’imposa en effet comme l’un des principaux représentants de la lutherie napolitaine de son temps et il est, encore aujourd’hui, souvent considéré comme “le plus important des luthiers napolitains en dehors de la famille Gagliano”[3].
Les étiquettes d’époque relevées sur ses instruments le désignent comme un “fabbricante di strumenti armonici” ou “di strumenti da corde”, ce qui suggère que sa production ne se limitait pas aux seuls violons mais qu’elle embrassait l’ensemble des instruments à cordes frottées et pincées.
Il fut actif probablement jusque dans les années 1830-1840, avant sa mort à Naples en 1843. Par la suite, Pasquale Ventapane (1830–1890), qui était sans doute son fils, œuvra également à Naples.


Les sources anciennes, de Lütgendorff[4] à Jalovec[5], s’accordent à reconnaître en Lorenzo Ventapane une personnalité marquante de l’école napolitaine, à la facture personnelle et dont la réputation s’étendit rapidement bien au-delà de Naples.
[1] René Vannes, Dictionnaire universel des luthiers, tome second, tome additif et correctif, 1959
[2] Walter Hamma, Meister Italienischer geigenbaukunst, Florian Noetzel, Ars Musica, Allemagne, 1993
[3] Tim Ingles, Four Centuries of Violin Making, 2006
[4] Willibald Leo von Lütgendorff, Die Geigen und Lautenmacher vom Mittelalter bis zur Gegenwart, II, 1922
[5] Karel Jalovec, Italienische Geigenbauer, Artia, 1957









Les violoncelles authentiques de Lorenzo Ventapane parvenus jusqu’à nous sont d’une grande rareté. On n’en connaît qu’un petit nombre, environ une quinzaine, majoritairement réalisés entre 1820 et 1825, dans son atelier de la Strada Donnaregina à Naples.
Parmi ces instruments, on compte notamment un violoncelle daté de 1824 qui a appartenu à Jacques Français et Rembert Wurlitzer, dont les fonds d’archives sont aujourd’hui conservés au Smithsonian à Washington.
D’autres violoncelles attribués à Ventapane présentent des étiquettes de la famille Gagliano, rappelant la proximité des ateliers napolitains du début du XIXe siècle et la parenté stylistique de certains de leurs instruments.
On connaît également quelques violoncelles plus tardifs, datés vers 1840, sans qu’il soit toujours possible de déterminer s’ils sortent directement de son atelier ou de celui de Pasquale Ventapane, actif dans les décennies suivantes.
Les recherches de provenance montrent que plusieurs modèles sont aujourd’hui entre les mains d’un certain nombre de musiciens professionnels, tels que ceux de la Chamber Orchestra of Europe et de l’Orchestra of the Age of Enlightenment de Londres. On peut aussi citer le violoncelliste solo de la Brussels Philharmonic, Karel Steylaerts, jouant sur un modèle de 1834, ou encore Payam Taghadossi, qui utilise notamment un instrument au sein de l’ensemble “Trio Gagliano”.
Dans les collections publiques, les violoncelles de Lorenzo Ventapane sont encore plus rares. Toutefois, il est intéressant de noter qu’un inventaire du Conservatorio di Musica San Pietro a Majella, réalisé vers 1900, mentionnait vingt-quatre violoncelles de Lorenzo Ventapane destinés à l’enseignement. Aujourd’hui, seuls trois instruments attribués à Lorenzo Ventapane subsisteraient dans ces collections[1].
[1] Sisto, Luigi. Il Museo degli Strumenti Musicali del Conservatorio di “San Pietro a Majella”: catalogazioni e interventi di restauro. Dans Présentation de la fiche SMO (Strumenti Musicali – Organo). Vers la définition des fiches des autres instruments de musique. Actes du séminaire – Crémone, 19-20 mars 2009. Crémone, 2009





Réalisé autour des années 1810-1820, le violoncelle de Lorenzo Ventapane présenté à la vente de Vichy Enchères, le 4 décembre 2025, vient donc enrichir ce mince corpus de modèles authentiques.
Cet instrument illustre la singularité de sa facture. Comme nous le décrit Jonathan Marolle :
“Lorenzo Ventapane a un style vraiment personnel. Ses modèles sont assez éloignés de ceux qu’on peut trouver chez les différents membres de la famille Gagliano. On peut éventuellement noter une certaine similitude dans le dessin de ff avec les instrument de Rafaelle et Antonio Gagliano qui travaillaient à la même époque. Son travail s’inscrit avant tout dans la tradition napolitaine, reconnaissable à son vernis jaune sec, à ses filets dont les blancs sont en hêtre, et à la manière caractéristique dont les tables sont goupillées aux éclisses.”
Entretien avec Jonathan Marolle, Vatelot-Rampal, Paris Luthier, spécialiste des instruments du quatuor à cordes. Expert près la Cour d’Appel de Paris, novembre 2025
L’instrument porte également une étiquette de restauration par Postiglione, autre figure importante de la lutherie napolitaine à la fin du XIXe siècle.
Cet élément fait écho à un des violoncelles conservés au Conservatoire San Pietro a Majella de Naples, qui présente lui aussi une étiquette de restauration du même luthier[1]. Postiglione, à la tête d’un atelier important dès les années 1880, aurait pu, selon Jonathan Marolle, assurer l’entretien d’une partie des instruments du Conservatoire.
Enfin, la provenance apporte un éclairage singulier sur la trajectoire de cet instrument, issu de l’inventaire d’un luthier argentin actif dans la seconde moitié du XXe siècle. Son parcours témoigne de la large diffusion des instruments napolitains, dont la réputation s’est étendue jusqu’à l’Amérique du Sud.
[1] Cautela, Gemma ; Starita, Lorella ; Sisto, Luigi (dirs.). Dal Segno al Suono. Il Conservatorio di Musica “San Pietro a Majella”. Repertorio del patrimonio storico-artistico e degli strumenti musicali. Naples : Arte-m, 2010
Ce violoncelle de Lorenzo Ventapane offre ainsi une rare occasion de redécouvrir le savoir-faire de ce maître napolitain du XIXe siècle. Alors ne manquez pas la vente de cet instrument remarquable le 4 décembre 2025 à Vichy Enchères !
Lorenzo Ventapane remains a paradoxical figure in the history of Italian violin making at the turn of the 18th and 19th centuries. On the one hand, his name appears regularly in specialist works as one of the most important Neapolitan violin makers outside the Gagliano dynasty, and his instruments – particularly his cellos – are described as first-rate. On the other hand, his work remains poorly documented and suffers from misattributions and gaps in museum collections. The discovery of a new cello by Lorenzo Ventapane, presented at our December 2025 prestige instrument auction, gives us the opportunity to revisit this luthier’s work and provide an overview of his cello production.