Lors d’une précédente vacation, nous vous présentions un beau violon d’Andrea GUARNERI, fameux luthier, fondateur de la « Casa Guarneri », légendaire dynastie cremonaise. Nous plongeons de nouveau dans l’histoire de cette famille grâce à un autre de ses illustres représentants : Joseph dît « Joseph fils d’Andrea » dont l’instrument est présenté lors de la prestigieuse vente d’instruments du quatuor de Vichy du 4 décembre 2014…
Cadet des enfants d’Andrea, Joseph naît à Crémone en 1666. Il effectue son apprentissage dans l’atelier paternel aux côtés de son frère aîné Pietro (né en 1655) qui s’installera plus tard, dans la ville de Mantoue. Les conditions semblent réunies pour le jeune Joseph, qui s’épanouit dans un environnement familial et professionnel où règne une grande émulation ainsi qu’une saine concurrence. Les confrères crémones d’alors se nomment STRADIVARI, AMATI (Girolamo II) et les frères RUGGER, pour ne citer que les plus illustres.
Andrea mort en 1698, Joseph assume seul la succession de l’atelier paternel (son frère aîné Pietro s’étant installé à Mantoue cette même année).
Si les premiers travaux connus de Joseph (un exemplaire signé dès 1690, un autre de 1696) montrent déjà une certaine personnalité, certains détails témoignent encore de l’influence d’AMATI auprès duquel Andrea GUARNERI avait fait son apprentissage. Petit à petit, ces détails vont s’estomper pour laisser place à la pleine personnalité du jeune luthier. Au regard de l’œuvre de Joseph sur l’ensemble de sa carrière, on peut penser qu’à l’instar de STRADIVARI, il fut un inlassable expérimentateur, modifiant souvent son modèle, probablement à des fins d’améliorations sonore.
L’instrument présenté et proposé à la vente au mois de décembre 2014 est un formidable exemplaire très probablement daté des années 1705-1710, témoignage de l’exceptionnelle qualité d’exécution du jeune maître au début du XVIIIème siècle.
Ce violon se situe donc à une période charnière de l’œuvre de l’auteur. Le modèle de son père, fortement influencé par AMATI, figure tutélaire de la ville, est abandonné. Cependant, la forme du modèle des années 1725-1730 n’est pas encore complètement aboutie. Cet exemplaire, par ses mensurations (en tout point identiques à celles relevées par les HILL dans leur ouvrage sur la famille GUARNERI) semble devoir s’inspirer des violons de son frère Pietro « de Mantoue ». Une longueur de coffre de 357 mm, un contour plus large, un diapason long résultant du placement bas des ouïes sur la table, un filet teinté aux noirs soutenus, un ragréage modéré : le jeune maître cherche, s’inspire, expérimente.
Le bois est assez bien choisi. L’épicéa de la table à l’accroissement plutôt régulier s’élargi légèrement vers les bords. D’après les examens dendrochronologies (effectués par Peter RATCLIFF en octobre 2014 et disponibles sur demande) pratiqués sur la table, il existe de grandes similitudes quant au type d’épicéa employé avec certains exemplaires de STRADIVARI, GUARNERI DEL GESU et de la plupart des maîtres italiens du XVIIIème siècle.
La datation donne l’année 1695 pour le cerne le plus jeune côté aigu et 1690 pour le cerne le plus jeune côté grave.
Le fond est de deux pièces d’érable sur quartier à ondes douces et assez régulières. La présence d’un petit nœud dans la partie supérieure révèle probablement des difficultés pour Joseph à s’approvisionner en bois de première qualité.
Les éclisses sont d’un bel érable à ondes plus larges.
La tête est d’un érable sans ondes comme bien souvent en Italie à cette époque. Elle conserve dans le dégorgement de la volute, les vestiges d’un chanfrein noirci. Le perçage des chevilles est d’origine.
La coulisse arrière est assez large, droite et peu creusée. Les marques de gouges sont encore très visibles. Ces détails sont assez récurrents sur les instruments de Joseph. En général, ses volutes sont moins soignées que celles de son père.
Le montage intérieur est proprement exécuté mais sans attention excessive.
Les blocs de coins et tasseaux sont en saule et bruts de gouge tandis que les contre-éclisses sont en épicéa.
Le vernis est dans un exceptionnel état de préservation. De larges zones (sur le fond et les éclisses notamment) sont demeurées intactes, sans le moindre rajout de gomme laque ou autre vernis de protection. Plusieurs examens comparatifs aux ultra-violets ont révélé une troublante similarité avec le vernis de deux violons de STRADIVARIUS, datés respectivement de 1701 et 1708.
Nous sommes en présence d’un vernis d’huile cuite mélangée à une résine, à la texture plutôt sèche comme le suggère la manière dont s’est patiné l’instrument. L’absence de pigment (peu utilisés encore à cette époque) lui confère une très belle transparence.
La dendrochronologie est la science de la datation du bois d’après les informations contenues dans les cernes des arbres.
Le rapport de dendrochronologie est devenu un élément important lors de l’évaluation approfondie d’un instrument de musique. Il permet de situer avec une grande précision, la période exacte à laquelle l’arbre a été utilisé dans la fabrication de la table de l’instrument. Le but principal – et la seule certitude qui se dégage d’une analyse réussie – est d’obtenir une date, portant sur le dernier anneau visible de la table de l’instrument, qui précède de préférence d’au moins quelques années la mort de l’auteur attribué.
Tous les tests statistiques, combinés à l’évaluation de nombreux graphiques comparatifs, ont ainsi déterminé que la première date possible de l’abattage de l’arbre utilisé pour faire la table de ce violon est très rapidement après 1695.
La différence entre la « date du dernier anneau » (1695) et la possible date de fabrication est naturellement une question de conjecture, et cet instrument pourrait en effet avoir été réalisé à tout moment à partir de 1700.
Après de nombreux tests dendrochronologies sur le bois d’épicéa utilisé par les fabricants italiens en général, il a été constaté que le délai entre la date du dernier anneau et la date de fabrication attribuée varie grandement. Dans certains cas que nous avons rencontrés, ce laps de temps était parfois de moins de 5 ans, au plus une période de 10 à 25 ans se sont écoulés entre la date de dendrochronologie et l’année de fabrication.
Les résultats de cette analyse dendrochronologique sont donc favorables à une date de fabrication attribuée de cira 1705.
Rapport effectué par Peter RATCLIFF (octobre 2014)
Jean-Jacques RAMPAL & Jonathan MAROLLE, Maison VATELOT-RAMPAL
Références bibliographiques : “The violon makers of the Guarneri Family (1626-1762)”, William E. HILL & Sons, Londres, 1931
In a previous sale, we auctioned a beautiful violin by Andrea GUARNERI, the famous violin maker and founder of the “Casa Guarneri”, a legendary Cremonese dynasty of violin makers. We dive again into the history of this family thanks to an instrument from another of its illustrious representatives: Giuseppe, known as “filius Andreae”, whose instrument will be auctioned during our sale of fine stringed instruments on 4 December 2014.
Giuseppe was born in Cremona in 1666, the youngest of Andrea’s children. He completed his apprenticeship at his father’s workshop, alongside his older brother Pietro (born in 1655), who later settled in Mantua. The young Giuseppe grew up in a family and professional environment that was conducive to success, and in which there was constant stimulation and a healthy dose of competition. His Cremonese colleagues at the time were STRADIVARI, AMATI (Girolamo II) and the RUGERI brothers, to name only the most illustrious.
Upon Andrea’s death in 1698, Giuseppe singlehandedly took over the succession of the paternal workshop (his older brother Pietro having settled in Mantua that same year).
Whilst the first known instruments by Giuseppe (dated 1690 and 1696) show the early signs of a growing individuality, certain aspects still betray the influence of AMATI, with whom Andrea GUARNERI had made his apprenticeship. Gradually, this influence became less perceptible as the individuality of the young maker prevailed. When examining Giuseppe’s work over his entire career, it is apparent that, just like STRADIVARI, he was a tireless experimenter, constantly modifying his models in order to achieve a better sound.
The instrument discussed here and offered for sale in December 2014 is an extraordinary example, most likely dated from the years 1705-1710, which attests to the exceptional craftsmanship of the young master maker at the beginning of the 18th century.
This violin was therefore made at a pivotal period in the maker’s career. His father’s model, which was strongly influenced by AMATI, the founding figure of violin making the city, was eventually abandoned. However, the model of the years 1725-1730 does not yet completely reflect this transition. Our instrument, in its measurements (identical in all respects to those recorded by the HILLs in their work on the GUARNERI family), seems to have been inspired by the violins of his brother Pietro “of Mantua”. It features a body length of 357 mm, wider edges, a long string length resulting from the low placement of the soundholes on the front, tinted purfling with strong blacks, and a moderate amount of filling; the young master was inspired, searching and experimenting.
The wood is well chosen. The spruce of the front has even growth rings that widen slightly towards the flanks. According to the dendrochronological analysis (carried out by Peter RATCLIFF in October 2014 and available on request) of the front, there are great similarities between the spruce used here and that of certain instruments by STRADIVARI, GUARNERI DEL GESU and most of the 18th century Italian masters.
The dating gives the year 1695 for the youngest ring on the treble side and 1690 for the youngest ring on the bass side.
The back is in two pieces of quartered maple with soft and fairly regular figure. The presence of a small knot in the upper part probably betrays the difficulty for Giuseppe to source first quality wood.
The sides are of beautiful maple with wider figure.
The head is of plain maple without figure, as was very often the case in Italy at that time. It retains, in the fluting of the volute’s throat, traces of a blackened chamfer. The drilling of the peg holes is original.
The back of the volute is quite wide, straight and with shallow fluting. The gouge marks are still very visible. These details are quite often seen on Giuseppe’s instruments. In general, his scrolls are less neat than those of his father.
The internal construction was neatly executed, but without excessive fuss.
The corner, top and bottom blocks are of willow, with gouge marks left unfinished, whilst the linings are of spruce.
The varnish is in an exceptional state of preservation. Large areas (on the back and sides in particular) have remained intact, without the slightest addition of shellac or other protective varnish. Several comparisons under UV light have revealed a surprising similarity with the varnish of two STRADIVARI violins, dated 1701 and 1708.
It is a baked oil varnish mixed with a resin, with a rather dry texture, as evidenced by the way in which the patina on the instrument has developed. The absence of pigment (rarely used at that time) in the varnish gives it a very beautiful transparency.
Dendrochronology is the science of dating wood based on information contained in tree rings.
A dendrochronology report has become an important source of information when thoroughly evaluating a musical instrument. It allows to determine precisely the period in which the tree used for the front of an instrument was felled. If successful, this analysis should show that the date of the last ring present of the front of the instrument precedes the death of its attributed maker by at least a few years.
Statistical analysis, combined with the evaluation of several comparative graphs, has indicated that the first possible date of the felling of the tree used to make the front of this violin is very soon after 1695.
The difference between the “date of the last ring” (1695) and the probable date of manufacture is clearly a matter of speculation, and this instrument could indeed have been made at any time from 1700 onwards.
After several dendrochronology analyses on the spruce wood used by Italian makers in general, it was found that the time between the date of the last ring, as determined by the dendrochronology analysis, and the date the instrument was made varied greatly, from less than 5 years in some cases, to up to 25 years in others.
The results of this dendrochronology analysis are therefore consistent with the attributed date of cira 1705 for its manufacture.
Report by Peter RATCLIFF (October 2014)
Jean-Jacques RAMPAL & Jonathan MAROLLE, Maison VATELOT-RAMPAL
Bibliographic references: “The violon makers of the Guarneri Family (1626-1762)”, William E. HILL & Sons, Londres, 1931