Le 15 novembre prochain, Vichy Enchères mettra à l’honneur Roger Delmotte à travers sa collection d’instruments de musique. L’occasion pour nous de fêter son centenaire et de revenir sur les temps forts de sa carrière. Trompettiste né en 1925 à Roubaix, Roger Delmotte a occupé pendant trente-cinq ans le poste de Premier Trompette-Super soliste de l’Opéra de Paris et a contribué à donner à la trompette française une reconnaissance internationale.
Roger Delmotte est né à Roubaix dans une famille de musiciens amateurs. Dans cette ville industrielle, la musique tenait une place importante grâce aux harmonies et fanfares entretenues par les usines. C’est à sept ans qu’il commence la musique, par la petite flûte, afin de rentrer dans la fanfare et avant de passer au bugle à l’âge de dix ans. Dans un entretien en 2022, il explique qu’il bénéficia alors des conseils d’amateurs confirmés qui l’initièrent aux bases du solfège et de la transposition.
“J’ai la chance tout de suite d’être pris en main par l’amateur qui jouait la grande flûte et qui me donne des conseils sérieux de notation, d’écriture, de solfège […] je remercie le ciel qui m’a fait commencer sur un bugle et non pas tout de suite sur une trompette, ça m’a permis d’avoir un son qui était placé tout de suite […] c’est sorti très facilement dès le départ.”
Roger Delmotte, “Passion Musique”, Entretiens avec Antoine Curé et Thierry Caens, 2022, en ligne sur Vivartis Music, la chaîne youtube de Thierry Caens
Il entre ensuite au Conservatoire de Roubaix, dirigé par Francis Bousquet, et rejoint la classe de trompette de Maurice Leclercq. Ce dernier, soliste à Radio Lille, lui transmit un style fondé sur la clarté du son et la beauté de la ligne mélodique. Leclercq privilégiait un jeu chantant, proche du bel canto, qui laissa son empreinte chez Delmotte.
Roubaix attirait alors des étudiants venus de toute la région, attestant de la réputation de l’enseignement dispensé par Leclercq.
Comme il était d’usage à l’époque, en parallèle de ses études de musique, Roger Delmotte se forma au métier d’ouvrier tailleur.
En 1944, Roger Delmotte rejoint Paris pour poursuivre sa formation au Conservatoire national supérieur de musique. Il intègre la classe d’Eugène Foveau, qui avait pris la direction de la classe de trompette en 1945 et qui fut le professeur de Marcel Caens, Pierre Pollin ou encore Pierre Thibaud.
“Roger Delmotte est l’aboutissement d’une “tradition d’interprétation” (française) qui va d’Arban (via la méthode d’Alexandre Petit – élève d’Arban – que Maurice Leclercq, son 1er professeur lui a enseignée) jusqu’à Eugène Foveau (méthode Forestier), son influence majeure et lui-même qui a relancé l’usage de la méthode Balay (professeur au conservatoire de Versailles, antichambre du CNSMP où il a enseigné par intérim au décès de Raymond Sabarich).”
“Bon anniversaire Monsieur Delmotte !“, 20 septembre 2024, article en ligne
En 1946, il obtint un Premier Prix de trompette, une étape décisive qui confirma sa place parmi les meilleurs élèves du Conservatoire. Dans le contexte difficile de l’après-guerre, cette distinction lui ouvrit des perspectives professionnelles nouvelles et il ne se consacra pas au métier d’ouvrier tailleur.
L’année 1950 marqua un nouveau tournant dans sa carrière puisqu’il remporta le Premier Grand Prix du Concours international d’exécution musicale de Genève, avec Gavotte de Concert de Sutermeister, l’Andante du Concerto de Haydn et l’Intrada d’Honegger.
Cet événement fut déterminant puisque c’était la première fois qu’un trompettiste obtenait ce prix à ce concours, jusque-là remporté par les cordes ou le piano.
Cette victoire consacra non seulement le talent de Delmotte, mais aussi l’école française de trompette qu’il représentait. Elle attira l’attention sur cet instrument encore rarement mis en avant comme soliste et ouvrit la voie à de nouveaux répertoires.
La reconnaissance que Roger Delmotte acquit à Genève lui permit de prendre de nouveaux engagements. Il enregistra beaucoup de disques à partir de 1950, commença à enseigner au Conservatoire de Versailles et fut nommé Premier Trompette-Super soliste de l’Opéra de Paris en 1951.
Delmotte fut Premier Trompette-Super soliste de l’Orchestre de l’Opéra de Paris de 1951 à 1986. Il participa alors à toutes les grandes productions de l’institution, du répertoire lyrique classique aux créations contemporaines.
Il joua notamment sous la direction de chefs tels qu’André Cluytens, Georges Prêtre ou Lorin Maazel et accompagna des chanteurs comme Régine Crespin ou Nicolai Gedda.
Sa collection d’instruments de musique aujourd’hui mise en vente reflète ses années passées au sein de l’Opéra de Paris.
“Suivant les ouvrages, [je change d’instruments]. Par exemple pour Carmen, je prends le cornet à piston, Faust aussi. La toute petite trompette, je l’utilise actuellement pour des œuvres de musique contemporaine, le Sacre du printemps, le ballet, c’est très très délicat, c’est quand même dur, il faut souffler aussi, mais c’est très délicat. […] Pour les opéras plus anciens, baroques, tels que les Indes galantes, j’utilise la trompette piccolo.”
Cette interview est un extrait de l’émission de télévision “Arcana connaissance de la musique” consacrée à la trompette, diffusée le 3 décembre 1970 par la première chaîne (ORTF) de la télévision française, et réalisée par Maurice Le Roux.
En parallèle de son activité à l’Opéra, Roger Delmotte mena une carrière de soliste. Dès 1952, il enregistra le Concerto de Haydn, suivi du Concertino de Jolivet en 1953. Il aborda également le Concerto de Hummel, des concertos de Vivaldi et des suites de Purcell. Ces enregistrements contribuèrent à inscrire la trompette dans le répertoire concertant.
“Roger Delmotte ouvre la voie à “la trompette concertante” classique, seulement précédé en cela (à une moindre ampleur) par l’Anglais George Eskdale et chez nous, par Raymond Tournesac (qui ne laisse qu’un seul disque) et par Ludovic Vaillant.”[1]
L’un de ses enregistrements marquants reste le Concerto pour deux trompettes de Vivaldi, réalisé en 1952 avec Maurice André, alors étudiant. Cette rencontre symbolise le passage de relais entre deux générations de trompettistes et marque un jalon important dans l’histoire de l’instrument en France.
[1] “Bon anniversaire Monsieur Delmotte !“, 20 septembre 2024, article en ligne https://trompetteactus.fr/2024/09/20/bon-anniversaire-monsieur-delmotte-2/
La carrière de Roger Delmotte fut marquée par des collaborations multiples. Il participa au Domaine Musical de Pierre Boulez, prenant part à des concerts qui contribuèrent à inscrire la trompette dans le champ de la musique contemporaine.
En outre, Nadia Boulanger l’invita à enseigner au Conservatoire américain de Fontainebleau et fit appel à lui pour son ensemble de musique ancienne et moderne.
Notons également que Roger Delmotte participa à l’Ensemble de cuivres Gabriel Masson, et qu’il fonda son propre ensemble en 1976. Ces initiatives contribuèrent à élargir le rôle des cuivres dans la vie musicale française et à diffuser une esthétique de la trompette tournée vers la diversité des répertoires.
En 1968, il forma avec l’organiste Pierre Cochereau un duo qui connut une large diffusion. Ils se produisirent dans de nombreuses cathédrales en France et à l’étranger, popularisant la formule trompette-orgue. Ce partenariat se prolongea jusqu’au décès de Cochereau en 1984 et laissa une discographie abondante.
Parallèlement à sa carrière de musicien, Delmotte consacra une part importante de son activité à l’enseignement. Dès 1950, il fut nommé professeur au Conservatoire de Versailles, où il forma pendant plus de trente ans plus de quatre cents élèves. Beaucoup poursuivirent leur carrière comme solistes en France ou à l’étranger.
De 1986 à 1992, il enseigna au Conservatoire de Lausanne et participa à de nombreux jurys de concours. Comme il vient également d’être évoqué, il fut professeur au Conservatoire américain de Fontainebleau et directeur artistique du Concours international d’instruments à vent de Toulon de 1974 à 2000.Sa pédagogie insistait sur l’importance de la musicalité. Pour lui, l’élève devait d’abord devenir musicien avant d’être trompettiste. L’instrument n’était qu’un outil au service d’une recherche de beauté sonore. Ce principe simple, qu’il a souvent rappelé, semble résumer l’essentiel de son approche.
La collection d’instruments rassemblés par Roger Delmotte reflète ce parcours d’une vie. Parmi les quarante pièces dispersées à Vichy le 15 novembre, on trouve des instruments anciens comme un cornet Stölzel gravé David à Paris, un cornet à cinq pistons signé Adolphe Sax ou une trompette à coulisse de la maison Kohler. Ces modèles rappellent les premières phases de la facture à pistons au XIXᵉ siècle.
La collection comprend aussi des instruments faisant référence à un pan précis de sa carrière, comme une trompette piccolo Antoine Courtois estampillée “Roger Delmotte”, qui témoigne de sa collaboration avec la maison, pour laquelle il fut essayeur de modèles.
Enfin, certaines pièces sont chargées d’une forte valeur symbolique, comme un cornet cabossé retrouvé dans les tranchées de Verdun, ou une trompette naturelle enroulée à trois trous rappelant la pratique baroque. L’ensemble constitue un panorama de l’histoire de la trompette et traduit la curiosité d’un musicien attentif aux instruments autant qu’aux répertoires.
Cette collection offre une lecture de la carrière de Roger Delmotte et de la place qu’il a occupée dans l’histoire de la trompette française. Alors, à l’occasion de cette année du centenaire du musicien, toute l’équipe de Vichy Enchères vous donne rendez-vous le 15 novembre 2025 pour célébrer ensemble la carrière de Roger Delmotte !
On 15 November, Vichy Enchères will honour Roger Delmotte’s legacy through the sale of his collection of musical instruments. This is an opportunity to commemorate his centenary and look back at the highlights of his career. The trumpeter Roger Delmotte was born in 1925 in Roubaix, held the position of First Trumpet – Super Soloist at the Paris Opera for 35 years, and contributed to bringing the French trumpet to international recognition.
Roger Delmotte was born in Roubaix into a family of amateur musicians. In this industrial city, music held an important place thanks to the wind and brass bands supported by the factories. He began playing the small flute at the age of seven, in order to join a brass band, before switching to the flugelhorn at the age of ten. In a 2022 interview, he explained that he benefited then from the advice of experienced amateurs who introduced him to the basics of music theory and transposition.
“From the start I was lucky enough that the amateur who played the grand flute took me under his wing and gave me invaluable advice on notation, writing and music theory […] I thank heaven that I started on the flugelhorn and not immediately on the trumpet. It allowed me to have a sound that was placed right away […] it came out very easily from the start.”
Roger Delmotte, “Passion Musique”, Interviews with Antoine Curé and Thierry Caens, 2022, online on Vivartis Music, Thierry Caens’s YouTube channel
He then entered the Roubaix Conservatory, directed by Francis Bousquet, and joined Maurice Leclercq’s trumpet class. The latter, a soloist at Radio Lille, taught him a style based on clarity of sound and the beauty of the melodic line. Leclercq favoured a singing style, close to bel canto, which left its mark on Delmotte.
Roubaix attracted students from all over the region, attesting to the reputation of Leclercq’s teaching.
As was customary at the time, alongside his music studies, Roger Delmotte trained as a tailor.
In 1944, Roger Delmotte moved to Paris to continue his training at the Conservatoire National Supérieur de Musique. He joined the class of Eugène Foveau, who had taken over as director of the trumpet class in 1945 and who later taught Marcel Caens, Pierre Pollin and Pierre Thibaud.
“Roger Delmotte is the culmination of a (French) “interpretation tradition” that extends from Arban (via the method of Alexandre Petit – Arban’s student – taught to him by Maurice Leclercq, his first teacher) to Eugène Foveau (the Forestier method), his major influence and the one who revived the use of the method of Balay (professor at the Versailles conservatory, a preparatory institution for the CNSMP, where he taught on an interim basis after the death of Raymond Sabarich).”
“Bon anniversaire Monsieur Delmotte !“, 20 septembre 2024, article en ligne
In 1946, he won a First Prize for trumpet, a decisive step that confirmed his place amongst the Conservatory’s best students. In the difficult post-war context, this distinction opened up new professional opportunities for him, and he did not pursue the profession of tailor.
The year 1950 marked a new turning point in his career, as he won the First Grand Prize at the Geneva International Competition for Musical Performance, with Sutermeister’s Gavotte de Concert, the Andante from Haydn’s Concerto, and Honegger’s Intrada.
This success was decisive, as it was the first time a trumpeter had won this prize at this competition, which had only been won previously by string players and pianists.
This victory recognized not only Delmotte’s talent, but also the French trumpet school he represented. It drew attention to this instrument, which was still rarely featured as a solo instrument, and opened the way to new repertoires.
The recognition Roger Delmotte achieved in Geneva created new opportunities for him. He recorded extensively from 1950, began teaching at the Versailles Conservatory, and was appointed First Trumpet – Super Soloist of the Paris Opera in 1951.
Delmotte was First Trumpet – Super Soloist of the Paris Opera Orchestra from 1951 to 1986. He participated in all of the institution’s major productions, from classical operatic repertoire to contemporary works.
In particular, he performed under conductors such as André Cluytens, Georges Prêtre and Lorin Maazel, and accompanied singers such as Régine Crespin and Nicolai Gedda.
His collection of musical instruments, now for sale, reflects his years spent with the Paris Opera.
“Depending on the works, [I change instruments]. For example, for Carmen, I use the cornet, Faust too. I use the very small trumpet currently for contemporary music works, The Rite of Spring, the ballet, it’s very, very delicate, it’s still hard, you have to blow too, but it’s very delicate. […] For older, baroque operas, such as Les Indes galantes, I use the piccolo trumpet.”
This interview is an extract from the television programme “Arcana connaissance de la musique” devoted to the trumpet, broadcast on 3 December 1970 by the first channel (ORTF) of French television, and directed by Maurice Le Roux.
Alongside his work at the Opera, Roger Delmotte pursued a career as a soloist. In 1952, he recorded the Haydn Concerto, followed by Jolivet’s Concertino in 1953. He also performed the Hummel Concerto, Vivaldi concertos and Purcell suites. These recordings contributed to cementing the place of the trumpet in the concert repertoire.
“Roger Delmotte paved the way for the classical ‘concert trumpet’, preceded only (to a lesser extent) by the Englishman George Eskdale and, in France, by Raymond Tournesac (who left behind only one recording) and Ludovic Vaillant.” [1]
One of his most notable recordings remains Vivaldi’s Concerto for Two Trumpets, made in 1952 with Maurice André, then a student. This project symbolized the passing of the baton between two generations of trumpet players and marks an important milestone in the history of the instrument in France.
[1] “Bon anniversaire Monsieur Delmotte !“, 20 septembre 2024, article en ligne https://trompetteactus.fr/2024/09/20/bon-anniversaire-monsieur-delmotte-2/
Roger Delmotte’s career was marked by numerous collaborations. He took part in Pierre Boulez’s Domaine Musical, whose performances helped establish the trumpet in the field of contemporary music.
Furthermore, Nadia Boulanger invited him to teach at the American Conservatory of Fontainebleau and called upon him for her ensemble of early and modern music.
In 1968, he formed a duo with organist Pierre Cochereau, which enjoyed widespread acclaim. They performed in several cathedrals in France and abroad, popularizing the trumpet-organ formula. This partnership continued until Cochereau’s death in 1984 and resulted in an extensive discography.
It should also be noted that Roger Delmotte participated in the Gabriel Masson Brass Ensemble and founded his own ensemble in 1976. These initiatives helped expand the role of brass instruments in French musical life and promote the trumpet as an instrument capable of playing diverse repertoires.
Alongside his career as a musician, Delmotte devoted a significant portion of his time to teaching. In 1950, he was appointed professor at the Versailles Conservatory, where he trained over 400 students in his 30-year tenure. Many of them pursued careers as soloists in France or abroad.
From 1986 to 1992, he taught at the Lausanne Conservatory and served on several competition juries. As mentioned above, he was a professor at the American Conservatory of Fontainebleau and artistic director of the Toulon International Wind Instrument Competition from 1974 to 2000. His teaching method emphasized the importance of musicality. For him, the student should first and foremost become a musician before becoming a trumpeter. The instrument was merely a tool in the pursuit of musical beauty. This simple principle, which he often reiterated, seems to summarize the essence of his approach.
The collection of instruments assembled by Roger Delmotte reflects this lifelong journey. Amongst the corresponding 40 lots for sale in Vichy on 15 November are antique instruments such as a Stölzel cornet engraved David à Paris, a five-valve cornet by Adolphe Sax, and a slide trumpet from Kohler. These examples recall the early days of valve-making in the 19th century.
The collection also includes instruments that relate to a specific period in his career, such as an Antoine Courtois piccolo trumpet stamped “Roger Delmotte”, which attests to his collaboration with the company, for which he tested new production models.
Finally, certain examples have strong symbolic value, such as a dented cornet found in the trenches of Verdun, or a wound natural trumpet with three holes reminiscent of Baroque practice. The collection spans the history of the trumpet and reflects the curiosity of a musician as interested in instruments as he was in the musical repertoires.
This collection offers an insight into Roger Delmotte’s career and his place in the history of the French trumpet. On 15 November 2025, on the occasion of this musician’s centenary, the entire team at Vichy Enchères invites you to celebrate Roger Delmotte’s career with us!