Des centaines de violons étaient accrochés au mur. Au premier coup d’œil jeté sur cette installation bien ordonnée, Jonathan Marolle s’arrête sur l’un des instruments. « Je suis tout de suite frappé par la qualité de son vernis, qui ne réfléchit pas la lumière de la même façon que les autres. Sa texture et sa couleur si particulières m’évoquent les prestigieux violons italiens du XVIIIe siècle », détaille le spécialiste. A la suite de cette première séance d’expertise, destinée à authentifier et à estimer les violons qui seront présentés à la prochaine grande vente de musique de Vichy Enchères, les recherches sur cet instrument au vernis évocateur vont se poursuivre. Jonathan Marolle travaille en étroite collaboration avec le maître de son atelier de lutherie et d’expertise, Jean-Jacques Rampal, également expert de la maison de ventes. Après une analyse poussée de tous les détails sur l’instrument, tous les deux confirment qu’il s’agit d’une œuvre du célèbre luthier Joseph Guarneri (1666‐1740) et avancent une estimation de 150 000 à 200 000 euros. « Le jour de la vente, les enchérisseurs étaient nombreux à convoiter le violon qui a été adjugé à 570 000 euros », rappelle Jonathan Marolle.
Longtemps il se souviendra de cette vacation de décembre 2014, « d’autant plus que je me suis ensuite occupé de la remise en état du violon. » Mais pour le jeune spécialiste et restaurateur de 33 ans, chaque expertise s’avère grisante. « Qu’il s’agisse d’une école française, anglaise, d’un semi-industriel ou d’une pièce aussi éblouissante que le Guarneri, l’important pour moi est de réussir à découvrir d’où vient le violon, qui en est l’auteur, puis d’authentifier cette provenance. » Pour l’aider dans ses enquêtes, Jonathan Marolle s’appuie sur les milliers de clichés d’instruments de sa photothèque personnelle, mais surtout sur sa passion pour le violon : « j’en ai toujours un entre les mains, c’est totalement réflexif et naturel chez moi. Et plus je vois de violons, mieux je me porte ! Entre l’atelier [Vatelot-Rampal] et les ventes de Vichy, qui présentent le plus grand nombre de lots au monde, je vois toujours plus de modèles différents. Ce qui est capital pour mon expertise. »
Pourquoi ce violoniste, luthier, réparateur d’instruments des plus grands solistes internationaux (Valeriy Sokolov, Vilde Frang, Henri Demarquette et Maxim Vengerov) a-t-il choisi de se concentrer sur l’expertise et l’histoire des violons ? Celui de son grand-père, ramené du camp de travail allemand où il était prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale, en est peut-être la cause. « J’ai commencé le violon à l’âge de 5 ans pour pouvoir jouer sur le violon familial. Et il m’accompagne aujourd’hui au quotidien, puisque je l’ai accroché juste derrière mon poste à l’atelier », détaille Jonathan Marolle. Autre fait marquant de sa jeune carrière: sa rencontre à l’âge de 11 ans avec l’expert Etienne Vatelot, fils du fondateur de l’atelier Vatelot-Rampal. « J’ai eu la chance d’assister à l’une de ses conférences sur « Stradivarius et ses faussaires ». J’ai été totalement fasciné par ses méthodes de recherche et la manière dont l’expert remonte le fil jusqu’à l’auteur du violon. » A peine l’intervention terminée, le garçon se précipite vers Etienne Vatelot pour lui faire part de son enthousiasme. En retour, le maître lui propose de venir faire un stage dans son atelier. Une première expérience qui débouchera sur son embauche quinze ans plus tard, après l’obtention de son diplôme à l’école de lutherie de Mirecourt.
En 2019, Jonathan Marolle a été nommé expert près la Cour d’Appel de Paris pour les instruments à cordes frottées.