Vichy Enchères

Une pièce historique : une viola da braccio de la Renaissance italienne

Il est des instruments fascinants qui semblent porter avec eux une partie de l’histoire de l’humanité, c’est le cas de cette viola da braccio. Réalisé durant la première moitié du XVIème siècle, ce modèle est l’un des rares parvenus jusqu’à nous. Surgissant de la Renaissance, c’est toute l’histoire de la viole et du futur alto que porte en lui l’instrument. Pièce d’exception, trésor historique, cette viola da braccio probablement réalisée vers 1520 à Brescia est à la fois unique, puisqu’elle s’inscrit comme un jalon de l’évolution de l’instrument, tout en renvoyant à la foisonnante culture italienne de l’époque, dont rendent compte l’iconographie musicale et les quelques instruments subsistants.  Cap sur la Renaissance italienne…   


Histoire de la viola da braccio

Les origines de la viole sont assez obscures, d’autant plus que l’on retrouve indifféremment employés les termes de “vièle” et de “viole” dans les premiers écrits médiévaux mentionnant l’instrument, à l’instar de ceux de Guillaume de Machaut (vers 1300-1377). Bien que dès le Moyen Âge, une profusion d’instruments à archet émergent, tels que le rebec, la viole est une invention du XVème siècle et la théorie la plus courante voudrait que l’instrument soit apparu en Espagne.

On considère couramment que la viola da braccio a été conçue à partir d’un instrument à cordes pincées préexistant, que les musiciens commencèrent à jouer verticalement et non plus horizontalement, à l’aide d’un archet. L’instrument à cordes pincées en question pourrait être le vihuela, “dont la forme, la taille et la façon d’accorder correspondent à celles de la viole ténor.”[1]

C’est en Italie que l’on s’intéressa réellement à la fabrication de la viole au XVIème siècle. Le terme de “viola da braccio” y est apparu à cette époque et signifie “viole de bras”, car l’instrument était joué tenu dans les bras, par opposition aux violes de gambe tenues entre les jambes. La famille des violes da braccio comportait des sopranos, ténors et basses. Les sopranos furent par la suite prénommés violino et le terme de viola perdura pour désigner l’alto.


[1] David Munrow, Instruments de Musique du Moyen Âge et de la Renaissance, 1979, p 86.

Un modèle en perpétuelle évolution au XVIème siècle  

Durant tout le XVIème siècle, la forme de la viole évolua beaucoup et de nombreux modèles circulèrent. Ce n’est qu’au début du XVIIème que sa forme se stabilisa.

“Ce que nous avons tendance à considérer comme une conception typique de la viole n’est en fait qu’un modèle parmi tant d’autres datant du XVIème siècle.”

David Munrow, Instruments de Musique du Moyen Âge et de la Renaissance, 1979, p 86.

On rencontre ainsi une pluralité de modèles de violes da braccio, dont rendent compte les rares instruments subsistants et surtout l’iconographie musicale du XVIème siècle. On constate que les instruments varient principalement dans leurs proportions, dans la forme de leurs échancrures et de leurs ouïes. Au début du XVIème siècle, on trouve ainsi en Italie plusieurs modèles à corps supérieurs allongés, sans coins, mais à arêtes marquées au niveau du corps inférieur. Les ouïes sont majoritairement en forme de C et sont tournées vers l’intérieur. La peinture italienne nous en offre un certain nombre d’exemples, à l’instar de l’Orphée du Parnasse de Raphaël peint entre 1509-1511 ou de l’Apollon de Dosso Dossi de la Galerie Borghèse, daté 1519. L’observation de ces peintures nous permet de constater la parenté entre la forme générale de ces instruments italiens du premier tiers du XVIème siècle et celle du modèle de la vente du 2 juin 2022.

Néanmoins, cet instrument inédit à des ouïes en forme de C à pointe centrale qui regardent vers l’extérieur. Les ouïes tournées vers l’extérieur apparaissent au cours du XVIème siècle[1], comme en témoigne notamment une peinture du Tintoret représentant Apollon et les muses datée vers 1580. Celles de l’instrument de la vente du 2 juin 2022 sont toutefois encore ramassées et non allongées comme cela deviendra fréquent durant la seconde moitié du siècle, ce qui conduit à penser que l’instrument est antérieur.

Enfin, notons que certains modèles de violes n’ont pas du tout d’échancrures au XVIème siècle et peuvent avoir des épaules plus ou moins tombantes. C’est le cas d’un modèle italien réalisé à la fin du XVIème siècle, conservé au Palais Lascaris de Nice, à ouïes en double C.

Les choses semblent changer au XVIIème siècle, puisque la célèbre planche XX du Syntagma Musicum de Praetorius figure cinq modèles de violes, toutes à échancrures prononcées en forme de C.


[1] Hadi T. Nia, Ankita D. Jain, Yuming Liu, Mohammad-Reza Alam, Roman Barnas, Nicholas C. Makris, The evolution of air resonance power efficiency in the violin and its ancestors, 2015

Comparaisons et rapprochements dendrochronologiques

L’examen des modèles existants et l’iconographie musicale nous permettent donc de situer la fabrication de l’instrument de la vente du 2 juin 2022 au XVIème siècle en Italie, ce que confirme le rapport dendrochronologique. Le Museum of Art and Archaeology de l’Université d’Oxford (Ashmolean) conserve un très rare modèle de viole réalisé à Venise dans la seconde moitié du XVIème siècle par Giovanni Maria da Brescia. En forme de guitare, c’est l’unique instrument connu de ce luthier et l’une des rares violes du XVIème siècle parvenues jusqu’à nous avec des ouïes en forme de C à pointe centrale. Cette comparaison est intéressante puisque, comme mentionné précédemment, on retrouve ce même genre d’ouïes sur l’instrument de la vente Vichy Enchères, mais dans une version encore très courte laissant penser que ce modèle a probablement été réalisé à Brescia avant celui du Ashmolean, c’est-à-dire durant la première moitié du XVIème siècle.

Le rapport dendrochronologique soutient cette théorie puisqu’il date le bois de l’instrument de 1511 et propose une réalisation à partir de 1520. Les différentes analyses du bois ont également révélé des correspondances significatives avec les données d’autres instruments anciens, et notamment une lira da braccio de Francesco Ventura di Linarol datée 1563 et conservée au National Music Museum (South Dakota). 

Parmi les quelques autres correspondances intéressantes, signalons également deux violons, le premier par Andrea Amati (Crémone, 1505 – 1577) et le deuxième par Gasparo da Salò (Salò, 1540 – Brescia, 1609).

Rareté des modèles

Les instruments de cette époque sont extrêmement rares sur le marché et dans les collections publiques. Peu sont parvenus jusqu’à nous et les quelques modèles subsistants ont fréquemment connu des modifications pour les conformer aux nouveaux usages. L’instrument de la vente Vichy Enchères du 2 juin 2022 fait partie de ces rares témoins du passé et de l’évolution des pratiques musicales, puisqu’il a été transformé en alto. En effet, on observe que les épaules de l’instrument ont été légèrement surélevées et que sa tête a été remplacée.
Parmi le peu de modèles connus, l’Ashmolean conserve une lira da braccio de Gasparo da Salo réalisée en 1561, également convertie en alto.
Le célèbre altiste Yizhak Schotten joue sur un autre de ces rares exemplaires, certainement une lira da braccio à sept cordes réalisée par Francesco Ventura di Linarol à Venise en 1580, transformée par la suite en alto.
Aux enchères, ces instruments sont encore plus rares que dans les collections publiques, voire inexistants. La vente du 2 juin 2022 est donc une occasion exceptionnelle d’acquérir l’un de ces instruments historiques. 

Vichy Enchères vous donne rendez-vous le 2 juin 2022 à l’occasion de sa vente d’instruments du quatuor de prestige pour découvrir cette pièce de collection, véritable joyau de la lutherie à la Renaissance, à l’origine du développement de la viole et de l’alto.


A PIECE OF HISTORY: A VIOLA DA BRACCIO FROM THE ITALIAN RENAISSANCE

There are fascinating instruments that seem to carry with them a piece of human history; this viola da braccio is one of them. Made during the first half of the 16th century, this instrument is one of the few of this type that have come down to us. A product of the Renaissance, it bears witness to the entire history of the viol and of the future viola. This exceptional piece, of historical significance, was probably made around 1520 in Brescia and it is both unique, since it represents a milestone in the evolution of the instrument, and a testimony to the burgeoning culture in Italy at the time, reflected in the musical representations and the few surviving instruments. Let’s head to the Italian Renaissance…


The history of the viola da braccio

The origins of the viol are rather obscure, especially since we find the terms « vièle » and « viole » used interchangeably in the first French medieval documents mentioning the instrument, like those by Guillaume de Machaut (circa 1300-1377). Although, from the Middle Ages, several types of bowed instruments, such as the rebec, emerged, the viol is a 15th century invention and the most common theory is that the instrument originated in Spain.

It is generally considered that the viola da braccio was based from a pre-existing plucked string instrument, which musicians began to play vertically instead of horizontally, using a bow. The plucked string instrument in question could be the vihuela, “whose shape, size and tuning correspond to those of the tenor viol.”[1]

It was in Italy that interest in making viols really emerged in the 16th century. The term « viola da braccio » (viol of the arm) appeared there at this time because the instrument was held in the arm while played, whereas violas da gamba were held between the legs. The viola da braccio family included soprano, tenor and bass models. The soprano ones were later named “violino” (violin) whilst the term viola endured to designate the instrument of the same name.


[1] David Munrow, Instruments de Musique du Moyen Âge et de la Renaissance, 1979, p 86.

A constantly evolving instrument in the 16th century  

Throughout the 16th century, the shape of the viol evolved significantly and several models were in circulation. It was not until the beginning of the 17th century that its form was fixed.

“We can therefore come across different forms of viola da braccio in the rare surviving instruments and, above all, in musical representations of the 16th century.”

David Munrow, Instruments de Musique du Moyen Âge et de la Renaissance, 1979, p 86.

These instruments vary mainly in their proportions, their outline and their soundholes. At the beginning of the 16th century, we find in Italy several models with elongated upper bodies, without corners, but with pronounced indentations in the lower body. The soundholes are mostly C-shaped and face inward. Italian paintings include a number of examples, like the Orpheus of Parnassus by Raphael painted circa 1509-1511, or the Apollo by Dosso Dossi in the Borghese Gallery, dated 1519. These paintings show the similarity between the general shape of Italian violas da braccio from the first third of the 16th century and that of the instrument in the sale of 2 June 2022.

However, this unique instrument has C-shaped soundholes, with a central notch, which face outward. Soundholes facing outward appeared during the 16th century[1], as evidenced in particular by a painting by Tintoretto representing Apollo and the muses and dated from around 1580. Those of the instrument in the sale of 2 June 2022 are however still compact and not elongated as will become more frequent during the second half of the century, which points to the instrument having been made earlier than that.

Finally, it is worth noting that some models of viols did not have C-bouts at all in the 16th century and had more or less sloping shoulders. This is the case of an Italian example made at the end of the 16th century, kept at the Palais Lascaris in Nice, with double C soundholes.

Things appear to have changed in the 17th century, as evidenced by the famous plate XX of Syntagma Musicum by Praetorius which features five models of viols, all with pronounced C-shaped middle bouts.


[1] Hadi T. Nia, Ankita D. Jain, Yuming Liu, Mohammad-Reza Alam, Roman Barnas, Nicholas C. Makris, The evolution of air resonance power efficiency in the violin and its ancestors, 2015

Dendrochronological analysis and comparisons

The study of extant examples and of musical representations therefore allows us to date the instrument in the sale of June 2, 2022 to the 16th century in Italy, which the dendrochronological report confirms. The Museum of Art and Archeology of the University of Oxford (“Ashmolean”) preserves a very rare example of a viol made in Venice in the second half of the 16th century by Giovanni Maria da Brescia. In the shape of a guitar, it is the only known instrument of this maker and one of the rare viols from the 16th century to have come down to us with C-shaped soundholes with central notches. This comparison of the soundhole shapes is interesting since, as mentioned previously, we find this same style of soundholes on the instrument in the Vichy Enchères sale, but in short form, suggesting that this instrument was probably made in Brescia before the one in the Ashmolean, in other words during the first half of the 16th century.

The dendrochronological analysis supports this theory, since it dates the wood of the instrument from 1511 and suggests a date of manufacture of 1520. The various analyses of the wood also revealed strong connections with the wood of other old instruments, in particular a lira da braccio by Francesco Ventura di Linarol dated 1563 and kept at the National Music Museum (South Dakota).

Among the few other interesting connections, we should mention two violins, the first by Andrea Amati (Cremona, 1505 – 1577) and the second by Gasparo da Salò (Salò, 1540 – Brescia, 1609).

The rarity of such instruments

Instruments from this period are extremely rare on the market and in public collections. Few have come down to us and the few surviving models have often been modified to adapt to new practices. The instrument in the Vichy Enchères sale of 2 June 2022 is one of those: a rare witness to the past and to the evolution of musical practices, as it has been converted into a viola. Indeed, we can see that the shoulders of the instrument have been slightly raised and that its head has been replaced.
Amongst the few other known models, the Ashmolean has a lira da braccio by Gasparo da Salo made in 1561, also converted into a viola.
The famous violist Yizhak Schotten plays on another of these rare examples, a seven-string lira da braccio made by Francesco Ventura di Linarol in Venice in 1580, later converted into a viola.
These instruments are even rarer at auction than in public collections, if appearing at all. The sale of 2 June 2022 is therefore an exceptional opportunity to acquire one of these historic instruments.

Vichy Enchères invites you to its fine string quartet instruments sale on 2 June 2022 to discover this collector’s item, a true gem of instrument making in the Renaissance, which bears witness to the origins and the development of the viol and the viola.

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