Le 5 juin 2025, Vichy Enchères présentera une rare collection de tirages argentiques signés Louis Ingigliardi, plus connu sous le nom d’INGI. Cette vente rassemble plusieurs dizaines de photographies, pour la plupart consacrées à des figures majeures de la musique du XXe siècle. Ces photos, soigneusement conservées et souvent inédites, témoignent d’une œuvre unique à la croisée de la musique et de la photographie. Cet événement est pour nous l’occasion de revenir sur le parcours et l’œuvre de cet artiste, qui nous permet d’approcher la sensibilité des grands musiciens, et particulièrement ceux du quatuor. Ces portraits résonnent particulièrement avec les prestigieux instruments mis en vente lors de cette même vacation, offrant un dialogue saisissant entre les interprètes et les instruments qu’ils ont sublimés.
Louis Ingigliardi est né à Nice en 1915. Très tôt formé au violoncelle, il étudie au Conservatoire de Nice avant de poursuivre son apprentissage à Paris. Sa formation est interrompue par la guerre, mais il reprend ses études dès 1944 au Conservatoire Supérieur. Musicien professionnel, il évolue dans les milieux prestigieux de la scène classique française et internationale.
À partir de 1954, INGI commence à se consacrer à la photographie. Grâce à ses collaborations avec des revues spécialisées comme Le Strapontin (magazine annonçant des spectacles), il trouve un terrain d’expression relatif à la musique, qui lui permet de conjuguer ses deux passions. Son regard de musicien sera déterminant puisqu’il influencera tout au long de vie sa manière de photographier.
INGI se distingue par son approche de la photographie fondée sur la discrétion et la complicité avec ses sujets. Il refuse les dispositifs techniques intrusifs comme le flash, préférant la lumière ambiante et les conditions naturelles. Ses séances sont rares, limitées à une douzaine de clichés, souvent réalisées dans des environnements intimes – à domicile, en loges, en répétition.
Il privilégie l’échange et ses prises de vue s’inscrivent dans le temps long d’une conversation. Cette méthode lui permet d’atteindre une forme de vérité du sujet, loin du formalisme du portrait posé. La composition de l’image ne s’achève jamais au moment du déclenchement mais toujours après un recadrage, qu’il considère comme une phase essentielle, permettant une réécriture visuelle et émotionnelle du moment capté.
Le corpus présenté à Vichy Enchères illustre la richesse et la cohérence de son travail en lien avec le monde des instruments du quatuor et cristallise toute une époque. On retrouve notamment un portrait de Christian Ferras, photographié en 1957 alors qu’il joue sur son Stradivarius “le Président” de 1721. Ce tirage d’époque, saisissant de retenue et d’intensité, incarne parfaitement l’art d’INGI, attentif à l’expression et à la gestuelle.
La série dédiée à Yehudi Menuhin offre un autre exemple remarquable. Mains sur l’instrument, portrait de profil, détails des doigts – chaque image propose une variation sur le rapport entre le corps et la musique, entre technique et inspiration.
On retrouve cette même approche dans les portraits de Henryk Szeryng, Mstislav Rostropovitch, Igor Oistrakh, ou encore dans les images de chefs d’orchestre comme Charles Munch, Leonard Bernstein ou Lorin Maazel. Du côté des compositeurs, INGI photographie les figures majeures du XXe siècle, de Chostakovitch à Britten, en passant par Messiaen, Boulez, Stravinsky.
À chaque fois, il choisit des moments en marge de la scène, les photographiant chez eux, en discussion, dans une posture de réflexion ou d’écoute.
INGI sait aussi élargir son spectre sans trahir son esthétique. Les photographies de Serge Gainsbourg dans les coulisses de l’Olympia en 1958, bien que différentes dans leur sujet, prolongent la même attention au silence et à l’instant.
Ce qui lie toutes ces images, c’est une conception musicale de la photographie, pensée en cycles et en reprises. En effet, il construit ses portraits comme une œuvre musicale, autour d’un thème, et en en explorant les variations. Ce regard de compositeur se retrouve ainsi dans les enchaînements d’images et dans leur rythme.
Son travail sur le geste, sur la concentration et sur la posture traduit aussi une recherche du “temps musical” dans l’image qui, bien que silencieuse, est évocatrice d’un moment de musique associé à une émotion. C’est là sans doute l’originalité de sa démarche, qui ne cherche pas à illustrer la musique, mais à en capter les émotions et vibrations.
Dès la fin des années 1950, INGI expose dans des galeries et salons majeurs, notamment à Paris. Il est présent à la Galerie Taitbout en 1958, au Salon du portrait photographique à la BnF en 1961, et dans plusieurs lieux parisiens jusqu’aux années 1990. En 2021, la Cour d’appel de Versailles reconnaît juridiquement l’originalité artistique d’un de ses clichés de Menuhin, soulignant la valeur patrimoniale de son travail.
Sa pratique apparaît aujourd’hui comme un modèle et une exigence esthétique vers laquelle tendre, afin de ne pas réduire la photographie à la simple illustration.
La vente Vichy Enchères de juin 2025 est l’occasion de s’immerger dans cet univers photographique, fait de musique, de silences et de gestes suspendus. Les photographies consacrées aux figures majeures du quatuor à cordes entrent en résonance intime avec les instruments qui seront proposés aux enchères, créant ainsi un lien vivant entre l’artiste, son instrument et l’instant capté.
On 5 June 2025, Vichy Enchères will be presenting a rare collection of silver prints by Louis Ingigliardi, better known as INGI. This sale brings together several dozen photographs, most of them devoted to major figures in 20th-century music. These carefully preserved and often previously unpublished photographs bear witness to a unique body of work at the crossroads of music and photography. This event is an opportunity for us to revisit the career and work of this artist, who allows us to approach the sensibility of great musicians, and particularly those of the quartet. These portraits resonate particularly well with the prestigious instruments on sale at the same auction, offering a striking dialogue between the performers and the instruments they have sublimated.