Vichy Enchères

Une collection de boîtes à musique, ou l’art de faire chanter les objets

Lors de nos ventes d’instruments à vent et à cordes pincées de novembre 2025, une remarquable collection de boîtes à musique sera présentée.  Témoins rares et raffinées de plus d’un siècle d’ingéniosité mécanique et d’élégance décorative, ces merveilles miniaturisées ont conquis les salons européens tout au long du XIXe et début du XXe siècle, s’imposant comme objets de prestige, de curiosité et de divertissement.  Qu’il s’agisse de mécanismes à cylindre, à disque ou à carton perforé, intégrés dans des coffrets, meubles ou objets du quotidien transformés, chaque pièce de cette collection oscille entre la prouesse technique et l’objet décoratif. À travers cette vente, c’est tout un pan de l’histoire de la musique mécanique qui se dessine et nous révèle la diversité d’un art oublié.


Origines et premiers développements

La boîte à musique apparaît vers la fin du XVIIIème siècle, issue de la miniaturisation des horloges musicales automatiques. Les premiers mécanismes “à cylindre” sont attribués à l’horloger suisse Antoine Favre qui, en 1796, présente un modèle de boîte à musique à Genève[1], qu’il qualifie de “carillon sans timbre ni marteau”. Cet instrument repose sur un ressort entraînant un cylindre tournant à rotation régulière grâce à un régulateur pour actionner des lames d’acier accordées. Cette innovation s’inscrivait dans le climat d’inventivité horlogère qui régnait alors à Genève, où l’on s’efforçait d’intégrer des dispositifs sonores dans des montres, bagues ou cachets afin de conjuguer prouesse technique et raffinement esthétique. Des artisans comme Isaac Piguet perfectionnèrent le dispositif et l’intégrèrent à de petits objets de luxe[2]. Les premiers prototypes n’eurent pas de succès commercial immédiat, mais ils posèrent les bases d’une nouvelle industrie. Dès le début du XIXe siècle, la boîte à musique fut alors associée à un univers de curiosités raffinées et d’objets de salon destinés à une clientèle aisée.

Rapidement, la production se développa dans le milieu horloger suisse, à Genève, puis Sainte-Croix et Auberson, ainsi qu’en France avec la manufacture L’Épée à Sainte-Suzanne. Les premières boîtes étaient souvent de taille modeste et pouvaient être intégrées dans des petits coffrets décoratifs, à l’exemple de la boîte à musique sous forme de nécessaire de couture de la collection en vente à Vichy Enchères. En placage d’acajou, ce modèle illustre comment l’invention a séduit la clientèle bourgeoise dès le début du XIXe en s’intégrant aux objets domestiques.


[1] Sadie, Stanley. ed. Musical Box. The New Grove Dictionary of Music and Musicians. MacMillan. 1980

[2] Bulleid, Paul. Nicole Frères Music Boxes. London: David & Charles, 1971.

Âge d’or du cylindre et intégration décorative

De nombreuses manufactures voient le jour, parmi lesquelles Paillard, Mermod Frères, Reuge, Baptiste-Antoine Brémond ou Nicole Frères, dont un modèle de la collection en vente illustre le savoir-faire. Il s’agit d’un coffret marqueté équipé d’un peigne de 96 lames, capable de jouer quatre airs issus du répertoire lyrique. L’instrument combine excellence mécanique et qualité musicale, et son décor marqueté témoigne du goût de la fin du XIXe siècle.
La collection comporte également une boîte à musique de la maison B.A. Brémond, également basée à Genève. L’instrument à huit airs est particulièrement bien fini, en bois marqueté, avec six marteaux de clochettes en forme d’abeilles.

Cette recherche décorative et sonore reflète le raffinement des productions genevoises, qui associaient savoir-faire décoratif et technique.

C’est durant le dernier tiers du XIXe siècle, entre 1875 et 1895, que la boîte à musique connaît son apogée[1]. La diversité de leurs modèles, allant des petits coffrets de voyage aux grands meubles musicaux, rencontre à cette époque une demande internationale.


[1] Collectif. The Art of Sound: Early Days, Golden Age and Decline of Swiss Music Boxes. Musée des Automates, Sainte-Croix, 2015.

Objets du quotidien transformés

Cette forte demande s’explique en partie grâce à une particularité propre aux boîtes à musique, à savoir leur caractère hybride. En effet, la boîte à musique était fréquemment intégrée dans des objets du quotidien détournés. Cette collection en rassemble plusieurs exemples, dont le “nécessaire de couture” déja mentionné, qui cache un mécanisme capable de jouer une mélodie une fois remonté.
On pense également aux caves à cigares musicales, au briquet en forme de phonographe, aux centres de table, ou encore au tableau-horloge représentant un port de pêche, dans lequel est intégré un peigne composé d’environ cinquante deux lames.
Tous ces exemples appartiennent à une même typologie d’objets du quotidien détournés et enrichis d’un mécanisme musical.
Cette pratique, courante sous le Second Empire et la Troisième République, illustre le goût pour les objets transformables et les surprises mécaniques. L’objet devient à la fois utile et merveilleux, combinant fonction pratique et ludique.
Enfin, les albums-photos musicaux, avec leur cuir gaufré et leurs dorures, rappellent les arts décoratifs du livre et les objets de dévotion ou de souvenir en vogue au XIXème siècle.

L’avènement du disque et la diversification des modèles

Dès le milieu du XIXe siècle émerge un nouveau procédé, celui de la boîte à musique à disque. Inventée en Allemagne par Paul Lochmann, à Leipzig, cette technologie remplace le cylindre par un disque métallique perforé ou embouti sur une face. Chaque disque comporte plusieurs aspérités en relief qui actionnent, via une roue étoilée, les lames d’acier du peigne. Cette innovation simplifie la fabrication du mécanisme et surtout facilite la production en série des morceaux – les disques sont alors estampés en masse.
Elle permet ainsi d’élargir considérablement le répertoire sans multiplier les cylindres. Les marques allemandes Symphonion, Polyphon ou Kalliope deviennent les leaders du marché à la fin du XIXe siècle.
Plusieurs exemples de ces boîtes à disques sont compris dans la collection présentée à Vichy Enchères, tels que deux Symphonions en coffret de bois marqueté.
Ces instruments, plus volumineux, reflètent cette époque de révolution industrielle. Ils étaient souvent placés dans les salons ou cafés, et certains modèles étaient munis de monnayeurs, ancêtres du juke-box.
Outre les cylindres et disques, apparaissent des systèmes hybrides, des boîtes à carton perforé, des mécanismes entraînés par poches de soufflet, ou des combinaisons inédites (orgues de salon à cylindres, orgues de barbarie portatives).
L’un des instruments les plus complexes et les plus rares de cette collection est incontestablement l’harmoniphone – une boîte à musique à cylindre avec de petits tuyaux d’orgue. Décoré d’une marqueterie florale, l’instrument peut interpréter douze airs, dont des extraits d’Aïda ou des Cloches de Corneville, qui reflètent la diffusion populaire du répertoire lyrique.

On découvrira également un exemple d’organina de Thibouville de petites dimensions à carton perforé qui jouait des chansons populaires, ou encore un petit orgue de salon à cylindre et 55 tuyaux.
Ces instruments montrent la diversité atteinte au tournant du siècle, que ce soit en termes de technique, de répertoire ou de style.
Signalons enfin une cithare mécanique de marque Triola, qui présente quant à lui une rare hybridation entre un instrument traditionnel et un mécanisme automatique novateur.

Styles décoratifs et usages sociaux

L’esthétique des boîtes à musique reflète les courants artistiques du moment. Face à la demande, la boîte à musique entre pleinement dans les arts décoratifs et les ébénistes de l’époque Napoléon III rivalisent de marqueteries et d’ornements pour habiller les coffrets, reprenant des motifs en vogue, tels que la marqueterie florale de style Art Nouveau, le répertoire champêtre, les incrustations de nacre ou encore les laques japonisantes.

On retrouve notamment le goût pour le japonisme typique de la fin du XIXe siècle dans l’esthétique des boîtes à musique. La collection en vente à Vichy Enchères comprend un bel exemple de ce style japonisant, avec cette cave à cigares musicale s’ouvrant par un système déployant au niveau de la prise laissant découvrir six compartiments, pour dix-huit cigares.

Signalons enfin la boîte figurant la cathédrale de Cologne, qui s’inscrit dans le courant néo-gothique et troubadour très prisé au XIXe siècle.

Du point de vue social, la boîte à musique était un objet de prestige mais aussi de divertissement familial. On l’offrait en cadeau de mariage ou on l’exposait comme pièce de réception. Les albums photos à musique en sont de parfaits exemples.

Ces derniers datés de la fin du fin XIXe, souvent d’origine anglaise, combinent l’image – portraits, évènements célèbres – et le son, en fixant un petit mouvement qui jouait une mélodie lorsque l’album était ouvert.

Les boîtes servaient aussi à animer des réceptions, en attestent les centres de table ovale musical montés sur une base en bois marqueté qui jouaient automatiquement un air lorsque l’on tournait une clé.

Au tournant du XXe siècle, la concurrence des nouveaux médias – phonographe, puis radio – provoque un net recul de la demande de boîtes à musique, faisant des modèles parvenus jusqu’à nous de véritables raretés.

Depuis leurs origines dans les ateliers horlogers suisses du XVIIIe siècle jusqu’aux usines de l’industrie mécanique du XIXe, les boîtes à musique ont traversé deux siècles en se réinventant sans cesse. Les instruments de la collection qui sera dispersée à Vichy Enchères en novembre 2025 donnent un aperçu de cette diversité technique et décorative. Elles montrent comment un même principe mécanique a pu s’adapter à l’évolution du goût, tout en répondant à des enjeux sociaux. Chaque modèle de la collection rappelle que la boîte à musique fut à la fois objet décoratif et un instrument mécanique, véritable reflet des courants artistiques et des usages domestiques de son temps.


A collection of music boxes, or the art of making objects sing

During our November 2025 auction of wind and plucked string instruments, a remarkable collection of music boxes will be presented. These miniature marvels, which are rare and intricate testaments to more than a century of mechanical ingenuity and refined decorative art, conquered European salons throughout the 19th and early 20th centuries, establishing themselves as objects of prestige, curiosity and entertainment. Whether they featured cylinder, disc or perforated cardboard mechanisms, were fitted into boxes, furniture or everyday objects, each item in this collection is in part technical achievement and in part decorative object. This sale sheds light a whole chapter in the history of mechanical music and attests to the diversity of a forgotten art.



Origins and early developments

The music box appeared towards the end of the 18th century, and stemmed from the miniaturization of automatic musical clocks. The first “cylinder” mechanisms are attributed to the Swiss watchmaker Antoine Favre, who, in 1796, exhibited a music box in Geneva [1], which he described as a “carillon without gong or hammer.” This instrument relied on a spring driving a cylinder, rotating regularly thanks to a regulator, to activate tuned steel reeds. This novelty emerged during a period of intense watchmaking innovation in Geneva, where efforts were being made to integrate sound devices into watches, rings and seals, combining technical advances and visual refinement. Craftsmen such as Isaac Piguet perfected the device and incorporated it into small luxury items [2]. The first prototypes did not achieve immediate commercial success, but they laid the foundations for a new industry. From the beginning of the 19th century, the music box was associated with refined curiosities and salon objects intended for a wealthy clientele.

Production quickly expanded in the Swiss watchmaking world, first in Geneva, then Sainte-Croix and Auberson, as well as in France with the factory L’Épée in Sainte-Suzanne. The first boxes were often of modest proportions and could be fitted into small decorative boxes, such as the music box in the form of a sewing kit from the collection on sale at Vichy Enchères. This mahogany-veneered example illustrates how the invention appealed to bourgeois customers from the early 19th century by becoming part of household objects.

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[1] Sadie, Stanley. ed. Musical Box. The New Grove Dictionary of Music and Musicians. MacMillan. 1980

[2] Bulleid, Paul. Nicole Frères Music Boxes. London: David & Charles, 1971.

The golden age of the cylinder and the decorative refinement

A number of manufacturers emerged, including Paillard, Mermod Frères, Reuge, Baptiste-Antoine Brémond and Nicole Frères, whose craftsmanship is illustrated by an example from the collection on sale. It is an inlaid case fitted with a 96-note reed, capable of playing four tunes from the lyrical repertoire. The instrument combines mechanical excellence and musical quality, and its inlaid decoration reflects late 19th-century taste.

The collection also includes a music box from B.A. Brémond, who was also based in Geneva. The eight-tune instrument is particularly well finished, and made of inlaid wood, with six bee-shaped bell hammers.

This decorative and musical refinement reflects the quality of Genevan production, which combined decorative and technical expertise.

It was during the last third of the 19th century, between 1875 and 1895, that the music box reached its peak [1]. The range of models, from small travel cases to large musical furniture, met with international demand at that time.


[1] Collectif. The Art of Sound: Early Days, Golden Age and Decline of Swiss Music Boxes. Musée des Automates, Sainte-Croix, 2015.

Transformed everyday objects

This strong demand is partly explained by a particular characteristic of music boxes: their hybrid nature. Indeed, music boxes were frequently integrated into everyday objects. This collection brings together several examples, including the aforementioned « sewing kit », which conceals a mechanism capable of playing a melody once wound up.

Other examples include musical cigar humidors, a phonograph-shaped lighter, centrepieces and a painting-clock depicting a fishing port, which incorporates a comb composed of approximately 52 blades.

All these examples are of the same type: everyday objects transformed and enhanced with a musical mechanism.

This practice, common during the Second Empire and the Third Republic, illustrates the taste for transformed objects and mechanical surprises. The object became both useful and wondrous, combining practical and playful elements.

Finally, the musical photo albums, with their embossed leather and gilding, recall the art of book decoration and the objects of devotion or souvenir in vogue in the 19th century.

The advent of the disc and the diversification of models

A new technology emerged in the mid-19th century: the disc music box. This innovation, which was developed in Leipzig (Germany) by Paul Lochmann, replaced the cylinder with a perforated or stamped metal disc on one side. Each disc had several raised bumps that activated the steel blades of the comb via a star wheel. This innovation simplified the manufacture of the mechanism and, above all, allowed the pieces to be mass produced, as the discs were mass stamped.

It also allowed for a considerable expansion of the repertoire without increasing the number of cylinders. The German brands Symphonion, Polyphon and Kalliope became the market leaders at the end of the 19th century.

Several examples of these disc boxes are included in the collection presented at Vichy Enchères, such as two Symphonions in inlaid wooden cases.

These larger instruments reflect an era of industrial revolution. They were often placed in living rooms or cafés, and some models were equipped with coin-operated systems, and were the forerunners of the jukebox.

In addition to cylinder and disc operated boxes, hybrid ones appeared, including perforated cardboard boxes, boxes with mechanisms driven by bellows pockets, and innovative combinations (cylinder parlour organs and portable barrel organs).

One of the most complex and rare instruments in this collection is undoubtedly the harmoniphone – a cylinder music box with small organ pipes. This instrument, which is decorated with floral inlays, can play 12 tunes, including excerpts from Aida and Les Cloches de Corneville, reflecting the popularity of the operatic repertoire at the time.

Also in the collection are an example of a small Thibouville organina with perforated cardboard that played popular songs, and a small cylinder parlour organ with 55 pipes.

These instruments attest to the diversity of these instruments at the turn of the century, in terms of technology, repertoire and style.

Finally, we should mention a mechanical zither from the brand Triola, which is unusual for incorporating an innovative automated mechanism in a traditional instrument.

Decorative styles and social uses

The aesthetics of music boxes reflect the artistic trends of the time. In response to demand, the music box became part of the decorative arts, and cabinetmakers of the Napoleon III era rivalled one another in adorning the boxes with marquetry and ornamentation, adopting fashionable motifs such as Art Nouveau floral marquetry, country repertoire, mother-of-pearl inlays and Japanese-style lacquers.

In particular, the taste for Japonism, typical of the late 19th century, is reflected in the aesthetics of music boxes. The collection for sale at Vichy Enchères includes a fine example of this Japanese style in the form of the musical humidor opening with a folding system at the handle, revealing six compartments for 18 cigars.

Finally, let us mention the box depicting the Cologne Cathedral, which is part of the neo-Gothic and troubadour movement that was highly sought after in the 19th century.

From a social perspective, the music box was an object of prestige, but also of family entertainment. It was given as a wedding gift or displayed as a reception room piece. Musical photo albums are perfect examples of that.

These albums, dating from the late 19th century and often of English origin, combine image – portraits, famous events – and sound, by setting in motion a small movement that played a melody when the album was opened.

The boxes were also used to entertain at parties, as exemplified by the oval musical centrepieces mounted on an inlaid wooden base that automatically played a tune when a key was turned.

At the turn of the 20th century, competition from new media – the phonograph, then the radio – caused a sharp decline in demand for music boxes, making the examples that have survived to this day true rarities.

From their origins in 18th-century Swiss watchmaking workshops to their mass production in 19th-century mechanical factories, music boxes have spanned two centuries, constantly reinventing themselves. The instruments in the collection that will be sold at Vichy Enchères in November 2025, provide a glimpse of their technical and decorative diversity. They show how the same mechanical principle was adapted to respond to changing tastes and uses. Each example in the collection reminds us that the music box was both a decorative object and a mechanical instrument, and a testament to the artistic trends and domestic uses of its time.

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