Le 5 décembre 2024, Vichy Enchères aura l’honneur de proposer à la vente un archet d’exception signé Jean-Baptiste Vuillaume, une pièce unique dans l’histoire de l’archèterie. Ce modèle en métal, véritable prouesse technique et artistique, se distingue par sa rare particularité : sa hausse est ornée d’une représentation naturaliste d’un oiseau s’abreuvant – un motif inédit dans l’œuvre de Vuillaume. Chef-d’œuvre d’innovation et de raffinement, cet archet, unique dans l’œuvre de Vuillaume, l’est également dans l’histoire de l’archèterie, puisqu’il s’agit du seul instrument connu à présenter un tel décor. L’occasion pour nous de revenir sur l’audace créatrice dont Vuillaume fit preuve en archèterie…
Né dans une famille de luthiers à Mirecourt, Jean-Baptiste Vuillaume (1798-1875) s’inscrit dans cette tradition familiale séculaire. Bien que nous ne soyons pas certains de l’identité de son maître, qui pourrait être Joseph Chanot, Nicolas Mathieu ou encore Simoutre père, on sait que Vuillaume quitta Mirecourt pour Paris en 1818, où il travailla d’abord pour François Chanot, puis Nicolas Antoine Lété. À Paris, son savoir-faire précoce fut rapidement remarqué.
Lété obtint une médaille à l’Exposition de Paris de 1823 pour un violon réalisé par Vuillaume, permettant au jeune luthier de signer ses œuvres sous son propre nom et d’accéder à une plus grande reconnaissance. En 1828, Vuillaume ouvre son propre atelier au 46 rue Croix-des-Petits-Champs, marquant ainsi le début de son ascension professionnelle dans le monde de la lutherie. Il se fait un nom en tant que luthier – ses violons étant comparés aux plus grands maîtres italiens que sont Stradivari et Guarneri – mais également en tant qu’innovant archetier.
Parmi les inventions les plus emblématiques de Vuillaume, l’archet à mèche interchangeable est un incontournable. Cette invention permettait aux musiciens de changer la mèche de leurs archets en toute autonomie, sans faire appel à un archetier. Il s’agissait d’une innovation particulièrement appréciée par les musiciens vivant dans des zones rurales ou éloignées, où l’accès à des archetiers était limité.
Le principe de cet archet était simple mais ingénieux : la mèche était sertie à ses deux extrémités dans des tubes en cuivre. Pour remplacer la mèche, il suffisait d’insérer ces tubes dans des fentes spécialement prévues dans la tête de l’archet et au niveau de la hausse. Le mécanisme de tension de la mèche, situé dans la hausse, permettait de la tendre à la convenance du musicien.
Vuillaume commercialisait ces archets accompagnés d’une boîte contenant plusieurs mèches de rechange, ainsi qu’un manuel d’instructions expliquant comment changer la mèche. Les instructions incluaient des conseils pratiques pour éviter que l’archet ne se déforme lors de l’installation de la mèche. En cas de gauchissement de l’archet après remplacement, il suffisait, selon Vuillaume, de retourner la mèche pour corriger le problème.
L’intérêt pour ce système fut notable, notamment chez les musiciens itinérants, qui pouvaient ainsi s’épargner les longs trajets vers les grandes villes pour faire remécher leurs archets. Cependant, l’invention avait aussi ses inconvénients. L’entaille réalisée dans la tête de l’archet pour accueillir le tube de la mèche fragilisait en effet la structure de l’instrument, le rendant plus vulnérable aux chocs. En outre, la hausse pouvait se décoller sous l’effet de l’humidité provenant de la main du musicien, compromettant ainsi la stabilité de l’archet.
Vuillaume déposa le brevet de son invention le 30 novembre 1835, et l’archet à mèche interchangeable resta en production pendant environ 15 ans, avant que Vuillaume ne décide de cesser sa fabrication vers 1850.
Parmi les nombreuses inventions de Vuillaume, l’archet en métal, conçu en 1834, est probablement la plus audacieuse et controversée. Alors que les archets étaient fabriqués en bois, principalement en pernambouc, Vuillaume chercha à introduire un matériau alternatif plus résistant. Son objectif était de créer un archet qui ne se déformerait pas avec le temps, comme cela pouvait être le cas du bois.
Les premiers archets en métal de Vuillaume furent fabriqués à partir de tubes creux d’acier ou de maillechort. Ces matériaux offraient une grande résistance et ne se pliaient pas sous la pression, contrairement au bois. Vuillaume affirme avoir vendu 5.560 de ces archets entre 1834 et 1850, un chiffre impressionnant qui témoigne de l’intérêt initial suscité par cette innovation[1].
[1] Bernard Millant, Jean François Raffin, L’Archet, tome II, L’Archet Editions, 2000
Comme nous le rappellent les experts Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, ces archets n’étaient pas produits dans l’atelier de Vuillaume mais à l’extérieur, par des artisans spécialisés dans le travail du métal.
Cependant, ce nouvel instrument avait aussi ses limites. Le métal ne permettait pas d’offrir la même flexibilité que le bois de pernambouc, essentiel pour obtenir une bonne courbure et une bonne résonance dans le jeu de l’archet. La difficulté majeure consistait à courber correctement l’instrument sans en affecter sa forme et sa résistance. De plus, la tendance du métal à rouiller et à s’oxyder avec le temps dissuada un bon nombre de musiciens.
Le modèle de la vente Vichy Enchères du jeudi 5 décembre 2024 est particulièrement remarquable puisqu’il s’agit du seul archet en métal à avoir une hausse figurative.
“Il s’agit d’un archet unique à caractère d’exception dans la production de Vuillaume !
C’est le seul que nous lui connaissons présentant ce motif d’oiseau sur la hausse. C’est d’ailleurs le seul archet connu avec une hausse figurant un oiseau. C’est une rareté de l’archeterie.”
Sylvain Bigot et Yannick Le Canu, experts en archets, le 30 septembre 2024
Comme le signalait déjà Sylvette Milliot dans son ouvrage sur les luthiers parisiens à propos des archets de Vuillaume, il s’agit en effet d’un instrument très rare :
“Dans certains exemples très rares elles [les hausses] peuvent même perdre leurs formes habituelles au profit d’un dessin particulier : tel ce lion accroupi en ivoire tenant la mèche dans ses narines pour un archet réalisé par Nicolas Maline, ou cet oiseau en métal picorant dans une mangeoire pour un archet à baguette en acier creux.”
Sylvette Milliot, Les luthiers parisiens aux XIXe et XXe siècles : Jean Baptiste Vuillaume et sa famille : Nicolas, Nicolas-Franc̦ois, Sébastien, 2006, p 309
Cet extrait fait allusion à deux modèles exceptionnels de la production de Vuillaume – à savoir un archet à hausse Vuillaume représentant un lion assis, réalisé par Maline alors qu’il travaillait dans l’atelier de Vuillaume (collection J. et A. Beare, Londres)[1] ; et l’archet métallique de la vente Vichy Enchères du 5 décembre 2024, ayant pour hausse un perroquet naturaliste. Celui-ci est figuré perché sur un petit monticule de graines, le bec plongé dans un abreuvoir à partir duquel sont attachées les mèches de l’instrument.
[1] Violins, Vuillaume 1798-1875, un maître luthier français du XIXe siècle : Paris, Cité de la musique/Musée de la musique, 23 octobre 1998-31 janvier 1999
Cet archet métallique, tout à fait exceptionnel dans la carrière de Vuillaume, avait à ce titre était exposé à Paris, dans la Grande Halle de la Villette, lors du bicentenaire de la naissance de Vuillaume. Véritable prouesse technique et artistique, l’instrument avait d’ailleurs été choisi pour faire la couverture du catalogue de l’exposition. Les photos de l’archet présentées dans le catalogue (et également dans L’Archet de Millant et Raffin) nous permettent de constater que depuis, le bouton a été changé.
Un autre innovation majeure de Vuillaume en archèterie fut le développement de la « hausse Vuillaume », conçue dans le but d’améliorer la conservation des archets. Vuillaume constata en effet que les hausses traditionnelles étaient souvent sujettes à des modifications indésirables sur le long terme, affectant le jeu et la sonorité des instruments.
Il introduisit alors, vers 1845, une nouvelle hausse caractérisée par un passant arrondi et une coulisse ronde dotée de retours latéraux.
L’un des premiers à avoir adopté cette innovation est Nicolas Maline, bien qu’il modifia le passant pour le rendre plus plat et long. À partir de 1855, François Nicolas Voirin, cousin de Vuillaume, prit le relais et perfectionna la fabrication de ces hausses. C’est notamment Charles Peccatte qui, sous la direction de Voirin, réalisa les archets à hausse Vuillaume jusqu’en 1870.
L’une des caractéristiques les plus intéressantes des archets à hausse Vuillaume est l’utilisation de la micro-photographie, une technique que Vuillaume fut l’un des premiers à intégrer lors de son invention. On trouve ainsi, dans certains archets d’exception, de minuscules portraits insérés au centre des grains de nacre de la hausse, représentant fréquemment Vuillaume ou des musiciens célèbres de l’époque tels que Paganini ou Sarasate[1].
“A-t-il confié à quelque spécialiste hausse et photographie de dimensions courantes pour exécuter entièrement le travail ? Prenait-il chez le fournisseur la microphotographie avec les lentilles et faisait-il placer le tout dans la hausse par ses archetiers ? Cela semble plus probable.”
Sylvette Milliot, Les luthiers parisiens aux XIXe et XXe siècles : Jean Baptiste Vuillaume et sa famille : Nicolas, Nicolas-Franc̦ois, Sébastien, 2006, p 309
Ces photographies, visibles grâce à une lentille grossissante, conféraient aux archets un caractère unique et prestigieux, attestant d’une certaine extravagance propre à la personnalité de Vuillaume.
[1] Bernard Millant, Jean François Raffin, L’Archet, tome II, L’Archet Editions, 2000
Vuillaume comprit très vite que pour mener à bien ses innovations, il devait s’entourer des meilleurs talents de son temps. Il forma ainsi une multitude de jeunes gens, majoritairement en provenance de Mirecourt. Dès les années 1830, Vuillaume dirigeait plusieurs ateliers employant luthiers et archetiers. Parmi lesquels, Jean-Pierre Marie Persoit, Claude Joseph Fonclause, Dominique et François Peccatte, Nicolas Maire, Nicolas Maline, Pierre Simon et François Nicolas Voirin.
Ces derniers jouèrent un rôle clé dans l’évolution de l’archèterie française au XIXe siècle et devinrent, chacun à leur manière, des figures emblématiques de la profession.
Sous sa direction, l’atelier devint un véritable laboratoire d’innovations. Vuillaume chargea notamment Voirin d’élaborer un système mécanique pour dégrossir les baguettes.
Cette émulation créatrice permit à l’archèterie française de dominer le marché européen au XIXe siècle et de poser les bases de l’archèterie moderne.
Jean-Baptiste Vuillaume fait incontestablement partie des luthiers-archetiers les plus inventifs de son temps. Son esprit créatif, combiné à un désir constant de perfectionner les instruments, marqua à jamais l’histoire de l’archèterie, que ce soit à travers l’invention de l’archet à mèche interchangeable, de la hausse Vuillaume, ou encore de l’archet en métal, dont Vichy Enchères vendra le 5 décembre 2024 le plus exceptionnel des modèles jamais réalisés : un petit bijou ayant en guise de hausse…un perroquet !
On 5 December 2024, Vichy Enchères will have the honour of offering for sale an exceptional bow by Jean-Baptiste Vuillaume, a unique piece in the history of bow making. This metal model, a true technical and artistic feat, is distinguished by a rare feature: its frog is decorated with a naturalistic representation of a bird drinking – a motif never seen before in Vuillaume’s work. A masterpiece of innovation and refinement, this bow is unique not only in Vuillaume’s work, but also in the history of bow making, as it is the only known instrument to feature such decoration. This is an opportunity for us to look back at Vuillaume’s daring creativity in bow making…