La vente d’instruments à vent et à cordes pincées du samedi 5 novembre 2022 nous donne l’occasion de nous replonger dans l’histoire de la cabrette au sein de la communauté auvergnate de Paris aux XIXème et XXème siècles, ainsi que de revenir sur le rôle majeur des frères Marginier et de l’association Cabrettes et Cabrettaïres dans le renouveau de l’instrument après la Seconde Guerre mondiale.
La cabrette, à laquelle on donne le nom de musette par extension, est un instrument à vent de musique traditionnelle auvergnat de la famille des cornemuses à anche double. Composée d’un sac de cuir de chèvre duquel elle tire son nom (chèvre se disant cabre en occitan), d’un hautbois et d’un bourdon, la cabrette a la faculté de pouvoir changer de tonalité en modifiant simplement le pied. Sa forme actuelle est née à Paris, issue de musettes savantes, et adoptée par les auvergnats immigrés dans la capitale principalement à partir de 1850, suite à la crise agricole. À partir de la fin du Second Empire, ces Auvergnats se firent connaître par leurs brasseries “vins et charbon”, dans lesquelles ils vendaient aussi bien de l’alcool que du combustible ! Cette spécificité leur valut le surnom de “bougnats” (par contraction des mots “charbonnier” et “auvergnat”), également donné à leurs cafés-charbons par métonymie.
Ces établissements étaient installés dans le 11e arrondissement de Paris et principalement rue de Lappe. Rapidement, ils devinrent le lieu de rendez-vous des émigrés auvergnats venant s’y divertir et danser au son de la cabrette importée d’Auvergne. C’est dans ce contexte que la cabrette à soufflet apparut pour rythmer les nuits des Auvergnats de Paris. Elle fut très populaire de la fin du XIXème siècle au début du XXème siècle, avant d’être supplantée par l’accordéon. De 1880 aux années 1930, fleurirent ainsi une vingtaine de bals rue de Lappe, dont le Bal Chambon, le Balajo, ou le Bal Bouscatel – du nom du joueur de cabrette Antoine Bouscatel. La rencontre de ce dernier en 1904 avec l’accordéoniste et fils d’italien, Charles Péguri, apparaît comme le symbole de l’avènement du style musette et de l’association cabrette-accordéon.
L’instrument et la musique traditionnelle auvergnate tombèrent en déliquescence dans les années 1940-1950. Modèles, fabricants et professeurs de cabrettes… Tous semblaient avoir disparu.
“En 1943, Joseph Lagaly est le seul Cabrettaïre qui accepte d’enseigner la Cabrette […] à quelques apprentis comme : Jacques Berthier, Georges Soule, Maurice Pradeyro, et quelquefois Marcel Marginier. […] La Cabrette est dans l’impasse, c’est le déclin… Pour la sortir de l’ornière dans laquelle elle est tombée, Jacques Berthier à l’idée de créer une amicale de Cabrettaïres.”
http://www.cabrettesetcabrettaires.com/Histoire/Histoire.htm
Marcel Marginier fit partie des premiers membres et participa à la première réunion qui vit l’arrivée de nouvelles personnalités désireuses d’apprendre à jouer de la cabrette. C’est seulement le 23 avril 1956 que l’association Cabrettes et Cabrettaïres fut créée, avec Jacques Berthier pour président.
“Leur dessein commun est d’œuvrer pour la sauvegarde et l’illustration de notre précieux patrimoine instrumental, former de jeunes musiciens et relancer la fabrication de la Cabrette.”
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L’association installa son siège social au bistrot “La Galoche d’Aurillac”, 41 rue de Lappe, également siège de l’école de Cabrette sous la direction de Georges Soule. L’endroit devint rapidement l’antre de la colonie et de la musique auvergnate à Paris. Concours, stages, rassemblements, concerts, publications, tout fut mis en œuvre pour faire renaître l’instrument. L’association se structura rapidement et les différents membres trouvèrent leur place et leurs missions, notamment en ce qui concerne la fabrication des cabrettes. François Hugon réalisa les sacs et soufflets, René Rouquet les pieds et les anches, et bien sûr Marcel et ses frères Albert et Jean Marginier, qui après une dizaine d’années de perçages de pieds dont un bon nombre fut à jeter avant de trouver le modèle idéals, fabriquèrent des cabrettes ayant beaucoup de répercussions sur le jeu… Marcel Marginier fut président de l’association de 1979 à 1984. Il perfectionna sa pratique de la cabrette auprès du grand musicien Martin Cayla – également éditeur de musique auvergnate et propriétaire de la plus importante boutique parisienne de musique de l’époque
La cabrette traditionnelle étant un instrument à gamme non tempérée (les écarts entre les notes sont variables), son jeu ne se prêtait guère aux airs lents des valses et des romances à présent en vogue dans les bals musettes. Le problème ne se posait pas pour la musique rapide des danses comme la polka, la bourrée ou encore la mazurka, qui permettaient aux virtuoses de maquiller les notes avec beaucoup d’ornementations. En revanche, pour les airs modernes, il valait mieux – selon un certain nombre de musiciens – ajuster la gamme et donner à la cabrette la capacité de jouer comme un instrument dit tempéré (dont les intervalles sont égaux). Au cours de leurs recherches, les Marginier s’aperçurent qu’il était possible d’obtenir ce résultat en jouant sur un pied ancien réalisé par le célèbre fabricant Alias (1855-1911?), à condition d’exécuter un doigté spécifique permettant d’obtenir une tierce majeure juste. Jusque-là, avec le doigté traditionnel de la cabrette, le Mi sonnait en effet entre la tierce mineure et majeure. Ils ont donc adopté ce doigté et fabriqué des cabrettes avec un pied dérivant du modèle Alias en leur possession.
Les instruments qu’ils fabriquèrent permirent ainsi à toute une génération de cabrettaires de jouer un nouveau répertoire à l’esthétique différente, avec un pied moelleux dans le son qui se mariait mieux avec l’accordéon chromatique et le jeu des bals musettes. Cette innovation donna à l’instrument la possibilité de jouer dans des ensembles avec une gamme moderne. En fonction de l’esthétique recherchée, la cabrette et le doigté Marginier étaient donc préférés des musiciens. Marcel l’utilisa lui-même sur plusieurs enregistrements.
“Sa passion pour la Cabrette le pousse à faire évoluer l’instrument dans l’interprétation des morceaux. […] Le résultat est étonnant et confirme que la Cabrette est un instrument de musique à part entière.”
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Les instruments des Marginier faisaient l’objet d’un soin et d’un raffinement particulier, que ce soit dans le choix des matériaux ou dans la sculpture des têtes. Pour la réalisation de ces dernières, les Marginier faisaient appel à des artisans spécialisés. Le modèle de la vente du 5 novembre 2022 offre un bel exemple de la somptuosité que pouvaient atteindre les cabrettes Marginier. La bague du boîtier est en or incrusté d’un diamant et la poche en cuir est recouverte d’une élégante robe de velours rouge.
La tête est sculptée d’une allégorie de la Nation au casque ailé, surmonté d’un coq qui rappelle le buste de Gratianopolis, personnification de la ville de Grenoble, sculptée par Henri Ding en 1884 (musée de Grenoble). Elle a également beaucoup en commun avec le bas-relief d’Émile Soldi à l’effigie de Gallia, réalisé en 1873 et conservé au musée d’Orsay. Marcel Marginier avait un goût prononcé pour les belles pièces ouvragées, comme en témoigne une tête de cabrette de sa collection en forme de félin (vente du 5 novembre 2022, Vichy Enchères).
Très raffinée, cette cabrette présente également un soufflet sculpté en bois et cuir rouge recouvert des armes d’argent à deux bandes de sable, portées par la famille Des Autheux, la commune d’Autheux (Somme) ou encore par les seigneurs de la Tousche (à Ambrières, Montigny, de la Gasselinière et de la Blosserie, du Parc, de l’Isle, à Saint-Paul-le-Vicomte, du Coudray, des Ruaux, au Maine)[1].
À l’image de ce modèle, les cabrettes Marginier devinrent ainsi des objets de prestige conçus comme de véritables œuvres d’art, offertes à l’occasion de grands événements ou commandées par des musiciens revendiquant un certain statut social.
[1] Patrick Bonneau, Armorial du Maine, Partie II
L’association Cabrettes et Cabrettaires joua ainsi un grand rôle dans le développement des particularismes musicaux auvergnats grâce à des figures comme les frères Marginier. Ces derniers comptèrent parmi les membres les plus importants de l’association et firent partie des plus fameux facteurs du XXème siècle. Les trois frères, Jean, Albert et Marcel, fabriquèrent des cabrettes. Jean réalisait les soufflets et poches en cuir, Albert s’occupait essentiellement des pieds, tandis que Marcel travaillait davantage sur les anches. Pendant près de dix ans, ce dernier qui n’était pas facteur de profession, passa ses week-ends et soirées à expérimenter de nouveaux perçages avant de parvenir à trouver les tons et demi-tons justes.
“Marcel et Albert qui, depuis 1957, effectuent de nombreuses études et relevés, produisent leur premier pied en 1962. La qualité de fabrication, la justesse et la sonorité de leurs pieds, en font encore aujourd’hui l’un des facteurs les plus fameux.”
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En outre, il n’hésita pas à consacrer une grande partie de son temps à la réparation des hanches des musiciens venant le solliciter rue de Lappe. Les instruments des frères Marginier étaient entièrement réalisés à la main et sont encore aujourd’hui un gage d’excellence pour les amateurs de ce type de cabrettes. En 1976, les trois frères travaillèrent nuit et jour pendant une semaine afin d’offrir une cabrette au Président de la République Valéry Giscard d’Estaing à l’occasion de son cinquantième anniversaire.
L’équipe de Vichy Enchères vous donne rendez-vous le samedi 5 novembre 2022 pour la vente de cette somptueuse cabrette Marginier ayant appartenu à Marcel Marginier.
The sale of wind and plucked string instruments on Saturday 5 November 2022 is the opportunity to explore the history of the cabrette within the Auvergne community of Paris in the 19th and 20th centuries, as well as to consider the major role of the Marginier brothers and of the Cabrettes et Cabrettaïres association in the revival of the instrument after the Second World War.
The cabrette, which is often called musette by extension, is a wind instrument from the double reed bagpipes family of musical instruments, used in the traditional music of the region of Auvergne in France. It is made up of a goat leather bag, from which it takes its name (goat is called cabre in Occitan language), an oboe and a drone, and its tone can be altered by simply modifying the foot. Its current form was born in Paris, originating from scholarly musettes, and adopted by the people of Auvergne who immigrated to the capital mainly from 1850 onwards, following the agricultural crisis. From the end of the Second Empire, these Auvergnats became known for their “wine and coal” breweries, in which they sold both alcohol and fuel! This earned them the nickname of “bougnats” (a contraction of the words “charbonnier” and “auvergnat”), a name also given to their cafés-charbons by extension.
These establishments were located in the 11th arrondissement of Paris and mainly rue de Lappe. They quickly became meeting places for migrants from Auvergne who wanted to have fun and dance to the sound of the cabrette from Auvergne. It is in this context, to enliven the nights of the Auvergnats of Paris, that the cabrette with a bellows made its first appearance. It was very popular from the late 19th century to the early 20th century, before it was superseded by the accordion. From 1880 to the 1930s, around twenty balls flourished on rue de Lappe, including the Bal Chambon, Balajo, and Bal Bouscatel – named after cabrette player Antoine Bouscatel. His encounter in 1904 with the accordionist of Italian descent Charles Peguri gave rise to the bal musette and the association between the cabrette and the accordion.
This instrument and the traditional music of Auvergne fell into oblivion in the 1940s and 1950s. Instruments, manufacturers and teachers all but seemed to have disappeared.
“In 1943, Joseph Lagaly was the only Cabrettaïre who accepted to teach the Cabrette […] to a few pupils, including Jacques Berthier, Georges Soule, Maurice Pradeyro, and occasionally Marcel Marginier. […] The Cabrette was at a dead end, in decline… To bring it back to life, Jacques Berthier had the idea of creating a Cabrettaïres association.”
http://www.cabrettesetcabrettaires.com/Histoire/Histoire.htm
Marcel Marginier was one of the founding members, and he took part in the first meeting in which a number of individuals wishing to learn to play the cabrette joined. It was only on 23 April 1956 that the Cabrettes et Cabrettaïres association was officially founded, with Jacques Berthier as its president.
“Their common goal is to ensure the preservation and promotion of our precious instrumental heritage, to train young musicians and to relaunch the production of the Cabrette.”
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The association set up its head office at the bistro “La Galoche d’Aurillac”, 41 rue de Lappe, which was also the head office of the Cabrette school under the direction of Georges Soule. The place quickly became the lair of the expatriate community of Auvergne and of its music in Paris. Everything was done to revive the instrument: competitions, courses, gatherings, concerts, publications… The association’s structure was quickly put in place and, within it, the various members found their place and their missions, in particular with regard to the manufacture of cabrettes. François Hugon made the bags and bellows, René Rouquet the feet and the reeds, and of course Marcel Marginier and his brothers Albert and Jean Marginier, who after ten years of drilling feet, many of which had to be discarded before finding the ideal model, made cabrettes that had a major impact on its playing. Marcel Marginier was president of the association from 1979 to 1984. He perfected his practice of the cabrette with the great musician Martin Cayla – also a publisher of Auvergne music and owner of the most important Parisian music shop of the time.
The traditional cabrette being an instrument with an untempered scale (in which the intervals between the notes are not equal), its playing did not lend itself to the slow airs of the waltzes and romances in vogue in the bals musettes at the time. This was less of an issue for the fast tempo dance music such as the polka, the bourrée or the mazurka, in which virtuosos would hide the problem notes behind a lot of ornamentation. On the other hand, for modern tunes, it was better – according to a number of musicians – to adjust the scale and give the cabrette the ability to play like a so-called tempered instrument (whose intervals are equal). In the course of their research, the Marginiers realized that it was possible to achieve this by using an old foot made by the famous maker Alias (1855-1911?), provided you used a particular fingering to obtain a major third in tune. Until then, with the traditional fingering of the cabrette, the E was half way between the minor and major third. They adopted this fingering and made cabrettes with a foot derived from the Alias example in their possession.
As a result, their instruments allowed a whole generation of cabrettaires to play a new repertoire of a different style, with a soft sounding foot that blended better with the chromatic accordion and was better suited to the bals musettes. This innovation also gave the instrument the ability to play in ensembles with a modern scale. Depending on the desired effect, the cabrette with Marginier fingering was therefore the preferred choice of musicians. Marcel used it himself on several recordings.
“His passion for the Cabrette led him to develop the potential of the instrument in the interpretation of pieces. […] The result is surprising and confirms that the Cabrette is a musical instrument in its own right.”
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The instruments of the Marginiers are finely crafted, and care has been given to all its components, whether in the choice of materials or the carving of the heads. For the latter, the Marginiers called upon specialized craftsmen. The example in the 5 November 2022 sale offers a fine example of how sumptuous Marginier cabrettes could be. The case ring is in gold encrusted with a diamond and the leather pocket is covered with an elegant red velvet robe.
The head carving represents an allegory of the Nation with a winged helmet, surmounted by a rooster, which recalls the bust of Gratianopolis, the personification of the city of Grenoble, sculpted by Henri Ding in 1884 (and kept in the museum of Grenoble). It also has a lot in common with Émile Soldi’s bas-relief of Gallia, made in 1873 and kept at the Musée d’Orsay. Marcel Marginier had a pronounced taste for beautiful ornate pieces, as illustrated by a cabrette head in the shape of a feline, from his collection (Vichy Enchères sale of 5 November 2022).
This very fine cabrette also has a bellows in carved wood and red leather with a representation of the coat of arms, in silver with two bands of sand, worn by the Des Autheux family, of the commune of Autheux (in the Somme region) and by the lords of Tousche (of Ambrières, Montigny, la Gasselinière and la Blosserie, le Parc, l’Isle, in Saint-Paul-le-Vicomte, le Coudray, les Ruaux, in the Maine province)[1].
As illustrated by this example, Marginier cabrettes became prestigious objects conceived as true works of art, presented on the occasion of major events or commissioned by musicians as social status symbols.
[1] Patrick Bonneau, Armorial du Maine, Partie II
The Cabrettes et Cabrettaires association therefore played a major role in the development of the musical specificity of Auvergne thanks to individuals such as the Marginier brothers. They were amongst the most important members of the association and most famous makers of the 20th century. All three brothers, Jean, Albert and Marcel, made cabrettes. Jean made the gussets and leather pockets, Albert mainly focused on the feet, while Marcel worked more on the reeds. For almost ten years, the latter, who was not a luthier by profession, spent his weekends and evenings experimenting with new piercings before managing to find the right tones and half-tones.
“Marcel and Albert, who, since 1957, had carried out extensive research and surveys, produced their first foot in 1962. The quality of the craftsmanship, as well as the accuracy of tone and the sound of their feet, still places them amongst the most famous makers today.”
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Moreover, he did not hesitate to devote a large part of his time to repairing the hips of musicians who came to him on the rue de Lappe. The instruments of the Marginier brothers were entirely made by hand and are still today a guarantee of excellence for enthusiasts of this type of cabrette. In 1976, the three brothers worked day and night for a week to offer a cabrette to the President of France, Valéry Giscard d’Estaing, on the occasion of his 50th birthday.
The team at Vichy Enchères looks forward to meeting you on Saturday 5 November 2022 for the sale of this sumptuous Marginier cabrette that belonged to Marcel Marginier.